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ANALYSESnoiré. — Der Ursprung der Sprache.

importantes, le droit, les échanges, etc., n’a apparu que lorsque les différentes races se sont insensiblement distinguées et par suite des contrastes qu’elles ont offerts.

C’est dans la communauté et par elle que se sont formées certaines qualités, qui, à force de se réfléchir dans les individus comme en autant de microcosmes, sont devenues, dans la suite des temps, individuelles. Il ne faut pas oublier cette loi suprême de la philosophie de l’histoire quand il s’agit de résoudre le problème de l’origine du langage. Bien loin d’avoir été l’œuvre de l’initiative d’un individu privilégié (il a fallu des siècles de progrès pour permettre à des exceptions individuelles de se produire !), il est sorti de la collaboration de tous ; il a été comme le miroir de l’activité collective, et cette activité commune, tendant à un même but, a seule pu être l’objet d’une conception commune, la source des idées générales. On a voulu faire, il est vrai, de la possession de ces idées générales une sorte de privilège mystique et surnaturel de l’espèce humaine ; elle n’est que le fruit de l’exercice en commun d’une commune intelligence, dont l’unique objet, qui fut également commun, était précisément cette activité de tous appliquée à la même fin.

Le langage n’aurait donc servi d’abord qu’à désigner les différents modes de cette activité, et il ne s’est étendu aux objets du monde extérieur, il ne les a exprimés, que peu à peu, à mesure que cette activité même les atteignait. La philologie confirme en cela notre théorie. Les mots, à l’origine, représentent les choses du monde objectif, non comme formes, mais comme formées, non comme des êtres actifs, mais comme des êtres passifs, subissant l’action. « La main, la main qui saisit, l’instrument des instruments, qui est le mouvement même, mais le mouvement produisant des actions, c’est la main qui nous a ouvert la création, qui a transplanté notre activité personnelle dans le monde des choses et les a réintégrées ensuite, comme autant de produits de notre imagination, comme formes et objets, dans notre vie intérieure. » Que signifient en dernière analyse les éléments primitifs de toute langue, sinon des actes, comme celui de gratter, de creuser, d’entrelacer des rameaux, ou tels autres modes d’un art encore dans l’enfance, sinon les modes d’une activité dont tous pouvaient avoir une égale expérience ? Le travail humain, sous toutes ses formes, tel qu’il s’est d’abord exercé, voilà le contenu de toutes les racines originelles.

Combien cette source du langage n’est-elle pas plus féconde que toutes celles dont on a voulu tour à tour le faire dériver ! Parlerons-nous des sons représentatifs ou des onomatopoietica de Steinthal, de l’imitation des carnassiers, selon Darwin, ou de la pantomime que préconise Geiger ? Mais ce ne sont là que des enfantillages qui n’auraient jamais pu fournir à un pareil développement du langage. La langue, avec de semblables hypothèses, serait restée le privilège de quelques individus et comme un objet de luxe, une sorte d’œuvre d’art,