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regnaud. — études de philosophie indienne.

rons-nous ici notre analyse des théories védântiques sur l’origine et la condition des âmes unies à la matière, et sur la matière elle-même.


§ IV. — La Transmigration.


Avant d’en arriver à la partie de la doctrine relative au retour du non-être dans l’être, — soit qu’on entende par là, comme dans les Brahma-Sûtras, l’extinction des âmes individuelles dépourvues d’existence objective au sein de l’âme universelle, soit que le non-être implique, en même temps et surtout, la fantasmagorie consistant dans le monde matériel qui est le fruit de l’ignorance des âmes particulières et qui disparaît par l’effet de la science, avec l’individualité également illusoire de ces âmes, selon la théorie du Vedânta-Sâra, — nous exposerons les idées des védântins sur la transmigration, et nous verrons comment ils ont enchâssé cette conception particulière dans leur système général.

Les plus anciennes Upanishads connaissent la transmigration et en indiquent les conditions principales. D’après la Brihad-Aranyaka-Upanishad (I, 5, 15), « il y a trois mondes : le monde des hommes, le monde des ancêtres et le monde des dieux. Le monde des hommes doit être conquis au moyen d’un fils et non par d’autre œuvre ; le monde des ancêtres doit être conquis par l’œuvre, c’est-à-dire par le sacrifice ; le monde des dieux doit être conquis par la science[1]. »

En disant qu’on conquiert le monde des hommes au moyen d’un fils, l’Upanishad entend non-seulement que l’homme se perpétue sur terre au moyen de sa descendance, mais le verset suivant nous décrit une cérémonie appelée sampratti, ou la transmission, par laquelle le fils se trouve substitué au père après la mort de celui-ci. Voici les termes mêmes de l’Upanishad :

« Quand il (le père) se croit sur le point de mourir, il dit à son fils : « Tu es Brahma, tu es le sacrifice, tu es le monde. » Le fils répète : « Je suis Brahma, je suis le sacrifice, je suis le monde[2]… » Quand celui qui possède cette connaissance quitte ce monde, il pénètre dans son fils avec ses prânas (c’est-à-dire qu’il lui transmet

  1. Athra trayo vâva lokâ manushyalokah pitrloko devaloka iti so’ yam manushyalokah putrenaiva jayyo nânyena karmanâ karmanâ pitrloko vidyayâ devalokah.
  2. Ce qui, d’après le commentaire de Çankara, signifie que le fils remplacera le père dans la récitation des saints livres, la célébration des sacrifices et la conquête des mondes, c’est-à-dire l’ascension au moyen des œuvres sur l’échelle des êtres, auxquels différents inondes sont assignés selon leurs mérites.