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Le corps constitue ce qu’on appelle le fourreau de nourriture (annamaya kosha) ou corps grossier.

L’intelligence qui anime les corps grossiers considérée collectivement est appelée vaiçvânara et virâj ; l’intelligence qui anime les corps grossiers considérés individuellement reçoit le nom de viçva[1].

L’état de l’âme qui réside dans le fourreau de nourriture est celui de veille. Dans cet état, l’âme prend connaissance des sons, des objets du tact, des couleurs, des saveurs et des odeurs, au moyen des cinq organes des sens auxquels président les Points cardinaux, le Vent, le Soleil, Varuna et les Açvins. Les organes d’action, c’est-à-dire la voix, les mains, les pieds, l’anus et les parties génitales, auxquels correspondent la parole, le fait de prendre, d’aller, d’évacuer les excréments et d’émettre la semence, sont présidés à leur tour par Agni, Indra, Apendra, Yama et Prajâpati. Enfin le manas, la buddhi, la conscience individuelle et la pensée en tant qu’agent, auxquels correspondent l’examen, la détermination, l’idée du moi et la pensée en tant qu’effet, sont présidés par la Lune, Brahma, Çiva et Vishnu[2].

Telle est la théorie cosmogonique du Vedânta-Sâra ou des védântins à l’époque de l’évolution complète de la doctrine. Plus systématique et plus symétrique dans ses développements que celle des Brahma-Sûtras et surtout que celle des Upanishads, elle présente dans ses principes des difficultés qui répugnent davantage encore au sens commun que les conceptions du vedântisme antérieur. La manifestation de Brahma sous des apparences matérielles, comme Çankara s’expliquait la création, paraît en effet moins étrange que l’idée du caractère complètement illusoire et purement subjectif des choses sensibles. Il est vrai qu’il y a antinomie irréductible entre Brahma, qui est toute intelligence, et la matière supposée privée de toute intelligence. Mais, en voulant supprimer la contradiction qui en résulte au point de vue panthéistique, l’auteur du Vedânta-Sâra est tombé dans un idéalisme qui assimile tous les phénomènes de la vie à de véritables hallucinations. N’est-ce pas passer de Charybde en Scylla ? Du reste, en attribuant au non-être des activités propres et des qualités qui influent sur l’intelligence et déteignent sur elle, le Vedânta-Sâra ajoute de nouvelles difficultés insolubles à celles que comporte déjà le système Vedânta. Heureusement, notre tâche consistait à les exposer et non pas à les expliquer ; aussi termine-

  1. Il ne s’agit pas, bien entendu, d’âmes spéciales, mais de modifications subies par les âmes qui résident dans les fourreaux plus internes. Dans l’état de sommeil, viçva redevient taijasa. — Véd.-Sâra, nos 72 et 73.
  2. Véd.-Sâra, nos 73 et 74.