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ÉTUDES DE PHILOSOPHIE INDIENNE


LE SYSTÈME VEDÂNTA[1]


§ III. — Le non-être dans le Vedânta-Sâra.

Quoique la doctrine du Vedânta-Sâra découle, d’après ses auteurs, de la même source que celle des Brahma-Sûtras, et, par conséquent, qu’elle doive lui être identique, les conceptions relatives au monde matériel et à ses origines diffèrent considérablement dans les deux ouvrages.

Comme nous l’avons vu, les Brahma-Sûtras et leur commentateur Çankara considèrent le monde matériel comme une modification de Brahma, dont il est un développement ou une émanation. Pour le Vedânta-Sâra, au contraire, la matière est l’opposé même du réel ou de Brahma ; vis-à-vis de lui, elle n’est pas. Son vrai nom est l’ignorance (ajnâna) : elle s’éclipse devant la science, dont elle est l’obstacle, c’est-à-dire devant la notion de Brahma, comme les ténèbres devant la lumière.

Aussi la fausse attribution du Vedânta-Sâra ne consiste plus seulement à imputer l’existence d’un sujet dans l’objet, et réciproquement ; c’est-à-dire qu’elle n’a plus seulement pour théâtre et pour objet l’âme et les phénomènes psychologiques ; mais l’auteur du Vedânta-Sâra la qualifie d’allégation que le non-réel est le réel[2], comme quand on prend une corde pour un serpent. Et, plus loin, il définit le réel en disant qu’il n’est autre chose que Brahma qui est l’être, l’intelligence et le bonheur ; tandis que le non-réel est l’ensemble de tout ce qui est privé d’intelligence et qui a son principe dans l’ignorance, laquelle est à son tour quelque chose auquel on ne saurait appliquer ni le nom d’être ni celui de non-être, et qui consiste en trois qualités ou trois attaches, — le mot guna ayant les deux sens[3].

  1. Voir le numéro de Février 1878.
  2. Vastuny avastvâropo ’dhyâropah. Ved.-Sâra. Éd. d’Allahabad, 1850, no 20.
  3. Le texte du Vedânta-Sâra ajoute que l’ignorance est bhâvarûpa, c’est-à-dire