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le pied du vainqueur ; il est couvert de poussière ou de boue, sans armes ; ses vêtements sont déchirés, et peut-être lui a-t-on enlevé la robe ornée de trophées à laquelle il attachait tant de prix. Ainsi la prosternation, la poussière répandue sur le corps et la perte des vêtements qui accompagnent incidemment la défaite en deviennent, comme la mutilation, les témoignages généralement reconnus. De là naissent d’abord les signes obligatoires de soumission des esclaves vis-à-vis de leurs maîtres et des sujets vis-à-vis de leur souverain, ensuite les attitudes humbles prises volontairement devant les supérieurs, et enfin ces mouvements révérencieux qui expriment l’infériorité et qui sont en usage entre égaux.

Tous les saluts sont un produit de l’état militant et se développent en même temps que le type militant de la société. Les attitudes et les gestes qui sont les signes de la sujétion ne caractérisent pas les tribus sans chefs et les tribus où l’autorité n’est pas solidement établie, telles que les Fuégiens, les Andamenais, les Australiens, les Tasmaniens, les Esquimaux, et les descriptions de l’étiquette parmi les communautés nomades et presque inorganisées de l’Amérique septentrionale mentionnent peu ou point d’actes cérémoniels qui expriment la servitude ou la subordination. Il y a en vérité dans les Indes certaines sociétés simples et paisibles, sans organisation politique, où l’on rencontre des salutations humbles, par exemple les Todas. Le jour du mariage, la fiancée Toda met sa tête sous le pied du fiancé. Mais, puisque des exceptions aussi caractéristiques ou à peu près se rencontrent dans les tribus fixes, agricoles et pastorales dont les ancêtres ont traversé ces phases intermédiaires entre l’état nomade et l’état sédentaire pendant lesquelles les activités militaires étaient générales, on peut admettre que ces cérémonies en survivant ont perdu leur signification primitive. Cette conjecture est d’autant plus raisonnable que dans le cas cité il n’existe ni cette subordination sociale ni cette subordination domestique dont elles sont l’expression. D’un autre côté, dans les sociétés composées, consolidées par le système militant et organisées sur le type militant, nous voyons que la vie politique et sociale est éminemment caractérisée par des salutations serviles. Si nous demandons dans quelles sociétés faiblement développées nous rencontrons les humbles prosternations, les attitudes couchantes et rampantes devant les supérieurs, la réponse n’est pas difficile. Nous les trouvons chez les Fidjiens, guerriers et cannibales, où le pouvoir des chefs sur les sujets ainsi que sur leurs propriétés est illimité et où le peuple des districts esclaves s’imagine que son unique destination est d’être mangé ; nous les trouvons à Uganda où la guerre est à l’état chronique, où le revenu