Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, V.djvu/539

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
529
herbert spencer. — études de sociologie.

l’interprétation d’une observance encore plus familière. J’ai déjà cité le fait qu’entre Arabes polis le supérieur, s’il est un homme condescendant, résiste à l’offre de l’inférieur de lui baiser la main, et que le conflit se termine en ce que l’inférieur baise sa propre main. Niebuhr rapporte un usage à peu près analogue : « Quand deux Arabes du désert se rencontrent, ils se serrent la main plus de dix fois. Chacun baise sa propre main et répète toujours la question : Comment vas-tu ? Dans le Yémen, chacun fait semblant de vouloir prendre la main de l’autre et retire la sienne pour éviter le même honneur. Enfin, pour finir la contestation, l’aîné permet à l’autre de lui baiser les doigts. » N’avons-nous pas ici l’origine des poignées de main ? Si de deux personnes chacune désire rendre hommage à l’autre en lui baisant la main et si chacune refuse par politesse de se laisser baiser la main, qu’arrivera-t-il ? Quand deux personnes, au moment de quitter une chambre, veulent se céder le pas réciproquement et refusent chacune de marcher la première, il en résulte à la porte un conflit de mouvements qui empêcheront toutes les deux d’avancer ; de même, si deux personnes désirent baiser la main l’une de l’autre et refusent de laisser baiser la leur, il en résultera que chacune des deux soulèvera la main de l’autre pour la porter à ses lèvres et que cette autre abaissera de nouveau sa main, et ainsi alternativement. Quoique ces mouvements soient d’abord irréguliers, ils deviennent peu à peu réguliers et rhythmiques, à mesure que l’usage s’en développe et que l’on admet d’avance que les deux personnes n’arriveront pas à se baiser la main mutuellement. Entre la simple pression qui représente aujourd’hui cette salutation abrégée et l’ancienne et cordiale poignée de main, il y a certainement une plus grande différence qu’entre cette poignée de main et le mouvement résultant de l’effort que feraient deux personnes pour se baiser réciproquement la main.

Même si nous n’avons pas l’observance arabe pour nous guider dans notre explication, nous serions néanmoins obligés de conclure à une genèse pareille. Après tout ce qui a été dit, personne ne peut supposer que la poignée de main ait jamais été choisie de propos délibéré comme une salutation, et, si elle découle de quelque acte exprimant la sujétion, cet acte doit nécessairement être le baisement de la main.

Les saluts, quels qu’ils soient, ont donc la même origine que le trophée et la mutilation. À la merci de son vainqueur, qui le tue en lui enlevant une partie du corps comme signe de victoire ou qui le mutile simplement pour lui imprimer la marque de l’esclavage, l’ennemi vaincu git prosterné, tantôt sur le dos, tantôt le cou sous