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Ces diverses interprétations seront vérifiées par les interprétations plus faciles de certains usages que nous rencontrons pareillement dans les sociétés où l’on exige les marques de sujétion les plus expressives ; je veux parler de la coutume de se présenter devant le souverain en habits grossiers, en costume d’esclave. Dans l’ancien Mexique, chaque fois que pour le servir les officiers de Montezuma « entraient dans ses appartements, ils étaient obligés d’ôter d’abord leurs riches vêtements et de se revêtir d’un costume plus humble… ils ne pouvaient paraître devant lui que nu-pieds et les yeux baissés. » Il en était de même au Pérou : outre la règle d’après laquelle un sujet, quelque grand qu’il fût, devait se présenter devant l’Inca en portant un fardeau sur l’épaule pour simuler l’esclavage ; outre cette deuxième règle d’après laquelle il devait être nu-pieds, ce qui était aussi un signe d’esclavage, il y avait encore, comme nous l’avons vu, cette troisième règle d’après laquelle « aucun seigneur, quelque grand qu’il fût, ne devait se présenter devant l’Inca en costume riche, ses vêtements devaient être humbles, » ce qui était également un signe d’esclavage. Même dans l’Europe du moyen âge la soumission envers le vainqueur ou supérieur était exprimée par l’enlèvement du vêtement et des accessoires qui étaient la marque de la dignité et par la présentation de la personne dans un état relativement dénué qui pouvait s’accorder avec la servitude. Ainsi, en France, dans l’année 1467, les chefs d’une ville conquise, allant se rendre à un duc victorieux, « amenèrent dans son camp trois cents des principaux citoyens en chemise, nu-tête, les jambes nues, qui lui présentèrent les clefs de la ville et se livrèrent à sa merci. » La prestation de l’hommage féodal comprenait des observances ayant une signification analogue. Saint-Simon, décrivant un des derniers exemples et nommant entre autres cérémonies accomplies l’enlèvement de l’épée, des gants et du chapeau, dit que cela avait lieu « pour dépouiller le vassal des emblèmes de sa dignité en présence de son suzerain ». Ainsi donc que l’on mette des vêtements grossiers ou que l’on ôte les beaux vêtements et les accessoires, l’intention est la même.

Ces actes de propitiation s’étendent, comme les autres, de l’être redouté qui est visible à l’être redouté qui n’est plus visible : l’esprit et le dieu. Nous nous rappelons que les Hébreux se couvraient de toile à sac et de cendres en même temps qu’ils se coupaient les cheveux, qu’ils se saignaient et faisaient des marques sur leur corps, le tout pour pacifier l’esprit. Les récits des voyageurs nous apprennent que ces coutumes continuent de subsister en Orient. M. Sait décrit une dame en deuil couverte de toile à sac et saupoudrée de cendres, et Burkhardt « vit les parentes d’un chef décédé courir à travers les