Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, V.djvu/535

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
525
herbert spencer. — études de sociologie.

« le corps jusqu’à la ceinture, en présence du roi ; » et Forster constate que dans les îles de la Société « les classes inférieures, en signe de respect, enlèvent généralement leur vêtement de dessus en présence de leurs principaux chefs. » Chez les indigènes de la Côte d’Or ce salut est encore abrégé et s’étend à d’autres personnes qu’aux chefs. Burton remarque, à propos de ces mêmes peuplades, que « dans tout le Yoruba et toute la Côte d’Or, découvrir les épaules équivaut à ôter le chapeau en Angleterre. »

Je crois pouvoir affirmer que ces deux coutumes, comparées ici incidemment, ont la même origine, et je ne pense pas que cette assertion puisse être contestée. La relation qui existe entre elles a été même reconnue à l’occasion de certains usages européens. Ainsi Ford fait cette observation : « Oter le manteau en Espagne équivaut à ôter le chapeau de chez nous. » Cette équivalence est reconnue en Afrique même, où les deux coutumes sont réunies, comme au Dahomey. « Les hommes découvraient leurs épaules, ôtaient leurs bonnets et leurs grands chapeaux en forme d’ombrelles, » dit Burton en parlant de sa réception. Elle est admise en Polynésie, où, comme à Tahiti, on se découvre la tête devant le roi, en même temps qu’on se met nu jusqu’à la ceinture. Il semble donc que l’habitude d’ôter le chapeau en Europe, qui chez nous se réduit souvent à le toucher, est un reste de l’acte par lequel le captif, en se dépouillant de ses vêtements, indiquait qu’il cédait tout ce qu’il avait.

L’exemple de ces mêmes indigènes de la Côte d’Or démontre que la coutume de se mettre nu-pieds a la même origine. Nous avons vu qu’ils découvrent en partie le haut de leur corps en signe de salut ; ils ôtent aussi les sandales de leurs pieds, « comme marque de respect, » dit Cruickshank : ils commencent à dévêtir le corps aux deux extrémités. Dans toute l’ancienne Amérique, l’enlèvement de la chaussure avait une signification analogue. Au Pérou, « un seigneur, quelque grand qu’il fût, ne pouvait se présenter devant l’Inca avec des vêtements riches ; il fallait qu’il eût un costume humble et les pieds nus, » et au Mexique, « les rois, vassaux de Montézuma, étaient obligés d’ôter leurs souliers quand ils se présentaient devant lui. » L’importance attachée à cet acte était si grande, que « le Michoacan étant indépendant du Mexique, le souverain prit le titre de cazonzi, c’est-à-dire le chaussé. » Des récits semblables au sujet des habitants de l’Asie nous ont familiarisés avec cet usage. Dans le Burmah, « même dans la rue et sur les grands chemins, un Européen qui rencontre le roi ou se joint à son cortège est obligé d’ôter ses souliers. » De même, en Perse, toute personne qui approche le roi est obligée de se mettre les pieds nus.