Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, V.djvu/534

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
524
revue philosophique

prendre des vêtements est semblable à celui qui pousse à enlever les armes ; le vêtement, étant souvent la peau de quelque animal redoutable ou une robe ornée de trophées, devient, comme les armes, une nouvelle preuve des prouesses du vainqueur. Quel que soit d’ailleurs le motif originel pour lequel on dépouille le vaincu de ses vêtements, la nudité partielle ou complète du captif devient une preuve additionnelle de sa défaite. Nous avons des témoignages manifestes que la chose était regardée de cette façon dans l’ancien Orient. Nous lisons dans Isaïe, xx, 2-4 : « Et le Seigneur dit : De même que mon serviteur Isaïe a marché nu et pieds nus pendant trois années… de même le roi d’Assyrie emmènera les Égyptiens captifs et les Éthiopiens captifs, jeunes et vieux, nus et pieds nus. » D’autres races nous fournissent également des preuves que l’enlèvement et l’abandon des vêtements deviennent ainsi une marque de soumission politique et dans quelques cas même un acte de vénération. Aux îles Fidji, le jour où l’on payait le tribut, « le chef de Somo-Somo, qui avait auparavant ôté ses robes, s’assit et détacha même de sa ceinture la traîne ou couverture, qui était d’une longueur immense. Il la remit à « l’orateur », qui lui donna en retour une pièce d’étoffe assez grande pour maintenir la décence. Les autres chefs de Somo-Somo, qui tous en arrivant avaient une traîne longue de plusieurs yards, se dépouillèrent entièrement, laissèrent leur traîne et s’en allèrent. Ainsi tout le peuple de Somo-Somo fut laissé nu. »

En présence de ces faits, nous ne pouvons guère douter que cet abandon des vêtements n’ait donné naissance à ces saluts qui consistent à découvrir plus ou moins le corps. Cet acte a toujours la même signification, à quelque degré que l’on se découvre. M. Tylor cite le passage suivant du journal d’un voyage qu’Ibn Batula fit dans le Soudan au xive siècle : « Les femmes peuvent seulement se présenter nues devant le sultan de Melli ; les filles même du sultan sont obligées de se conformer à cet usage. » Si nous pouvons avoir quelque doute relativement à l’existence d’une salutation portée ainsi à son extrémité primitive, il cesse quand nous lisons dans Speke qu’actuellement, à la cour d’Uganda, « des femmes adultes, complètement nues, font le service. » D’autres parties de l’Afrique nous montrent une nudité à la vérité incomplète, mais encore considérable, employée comme signe de respect. Dans l’Abyssinie, les inférieurs sont obligés de découvrir leur corps jusqu’à la ceinture en présence de leurs supérieurs ; « mais, pour les égaux, on enlève seulement pendant quelques instants le coin du vêtement. » Le même fait se représente en Polynésie. Les Tahitiens découvrent