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delbœuf. — la loi psychophysique

ments de cette nature. Mais il demande à Hering pourquoi la loi de proportionnalité ne s’applique pas à la lumière. J’avais posé la même question. Fechner fait en outre observer judicieusement (p. 59) qu’elle reste étrangère aux sensations de poids, même si l’on accepte les chiffres fournis par les élèves Biedermann et Löwit[1]. Enfin on ne peut nier, dit-il, que 100 thalers n’augmentent pas la fortune d’un millionnaire dans une proportion plus notable qu’un thaler celle d’un pauvre homme[2]. Recueillons ici en passant un aveu précieux : c’est qu’il serait possible que les lois psychophysiques ne fussent pas rigoureusement applicables aux sensations de poids (p. 60). Je l’avais déjà soupçonné[3]. Constatons encore que Fechner fait une distinction formelle entre les sensations intensives et celles qu’on appelle extensives : de ce que la loi ne s’appliquerait pas à celles-ci, il ne s’ensuit pas qu’elle ne dût pas s’appliquer aux autres. J’avais regretté que la confusion entre les mots prêtât à une pareille confusion entre des choses si différentes[4]. Fechner relève ma critique (p. 61) et rappelle qu’il a fait expressément la distinction dans ses Éléments de psychophysique (I, 15, II, 336). Je lui donne volontiers acte de cette rectification.

Enfin le professeur de Prague avait fait valoir contre la loi de Weber différentes raisons de fait. Le physicien de Leipzig n’invoque contre certaines d’entre elles[5] que des objections assez embarrassées. Si je soulève, avait dit le premier, un poids de 3 livres avec mon bras dont j’évalue aussi le poids à 3 livres, la sensation éprouvée sera, si la loi psychophysique est vraie, égale à celle que me fournira un poids de 7 livres que j’élèverai avec ce même bras armé d’un croc pesant 4 livres, puisque les accroissements relatifs de poids seront égaux, là de 3 livres sur 3 livres, ici de 7 livres sur 7 livres. D’après Fechner (p. 186 et suiv.), il n’y a pas lieu de voir ici des sensations de surcroît, mais des sensations totales. Hering avait encore dit que, la main étant posée à plat sur la table, un disque de métal ajouté à un autre disque devrait produire le même effet que cinq disques ajoutés à cinq disques, tandis qu’il n’en est pas ainsi. On lui répond qu’il ne tient compte que de la pression exercée sur la main par les disques, mais qu’il néglige la contre-pression qui vient de la table sur laquelle elle repose et que, par suite, l’expérience n’est pas concluante. Je crains bien que ce ne soient pas là des réponses bien péremptoires.

  1. Revue philosophique, loc. cit., p. 238.
  2. Sur cette espèce d’argument, voir ibid., p. 249.
  3. Ibid., p. 239, 251 sqq. ; et Théorie de la sensibilité, p. 20.
  4. Ibid., p. 250.
  5. Ibid., p. 230 et 231.