Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, V.djvu/522

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
512
revue philosophique

tous, posèrent mon pied sur leur tête et se couvrirent de poussière. » Parmi les anciens peuples historiques, cette position, à laquelle la défaite sur le champ de bataille a donné naissance, a été adoptée comme marque de soumission.

De ces salutations primitives, représentant aussi exactement que possible l’attitude du vaincu devant le vainqueur, dérivent les salutations qui expriment de différentes façons la soumission de l’esclave à son maître, cette soumission étant la conséquence de la défaite. Nous voyons l’expression de cette soumission dans l’ancien Orient, quand « les serviteurs de Ben-Hadad se ceignirent les reins de toile à sac, mirent des cordes autour de leur tête et se présentèrent devant le roi d’Israël. » Dans le Pérou, où le type du système militant fut poussé à l’excès, Garcilasso nous raconte que c’était un signe d’humilité d’avoir les mains liées et une corde autour du cou ; c’est-à-dire on se chargeait de ces liens, qui étaient primitivement la marque des captifs ramenés du champ de bataille. Outre cette manière de simuler l’esclavage, il en existait une autre quand on approchait de l’Inca : on devait marquer la sujétion en portant un fardeau ; « et tous les seigneurs qui ont régné dans ce pays ont observé cette cérémonie de porter un fardeau quand ils se présentaient devant Atahualpa ».

Je donne dès le début ce petit nombre d’exemples extrêmes, pour montrer de suite que les salutations sont originairement un moyen d’exciter la pitié d’un vainqueur d’abord, et ensuite d’un maître. Cependant une conception adéquate de la salutation renferme un autre élément. Dans le chapitre d’introduction, j’ai fait remarquer que différents signes de plaisir, ayant une origine physio-psychologique et se manifestant en présence de ceux pour lesquels nous éprouvons de l’affection, deviennent des observances de civilité, parce que la supposition qu’on nous aime nous rend heureux et que pour cette raison les démonstrations d’affection nous sont agréables. Aussi, tandis que nous cherchons à attirer le bon vouloir d’un supérieur en lui exprimant notre soumission, nous efforçons-nous en même temps d’arriver à ce but en marquant la joie que nous cause sa présence. Sans jamais perdre de vue ces deux éléments de la salutation, nous allons en considérer maintenant les variétés avec leur usage en politique, en religion et en société.

Quoique la prosternation sur le visage ne nous rende pas aussi faibles et aussi incapables de résister que la prosternation sur le dos, elle est cependant un assez grand signe de faiblesse pour être un témoignage suffisant de soumission ; aussi est-elle la salutation adoptée partout où règnent un despotisme absolu et une subordina-