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Bernstein, repoussent à priori les rapports non proportionnels. D’où viendrait d’ailleurs cette différence ? pourquoi la proportion d’un côté, la progression de l’autre ? Fechner, pour qui cette question est vitale, répond que la proportion ne règne que là où l’effet découle immédiatement de la cause, mais que, dans le cas contraire, il n’en est pas ainsi. La durée du battement d’un pendule dépend de sa longueur ; le temps de la révolution d’une planète, de sa distance au soleil ; le développement d’une courbe, de sa projection sur Taxe des abscisses, etc. ; or dans ces exemples il n’y a aucune proportionnalité entre les termes unis. C’est bien le cas de dire que comparaison n’est pas raison. Fechner me semble oublier d’ailleurs que la sensation dépend immédiatement de la force psycho-physique.

Je l’ai déjà dit, je juge cette discussion en partie oiseuse. Entre deux termes bien connus, on vient introduire une inconnue embarrassante qui me paraît faite plutôt pour compliquer la question que pour l’éclaircir. Quant au principe que l’effet doit être proportionnel à la cause, je l’accepte pleinement ; il s’agit seulement de bien déterminer dans chaque cas quel est l’effet et quelle est la cause. Si, par exemple, la cause était le logarithme de l’excitation ? Or, c’est à quoi l’on arrive, quand on fait dépendre les modifications de la sensibilité d’une différence d’équilibre entre l’état du milieu agissant et l’état de l’organe sensible. L’excitation est, dans ce cas, à proprement parler, le choc résultant d’une chute, chute qui se fait tantôt dans un sens, tantôt dans un autre. Si l’on entend l’excitation de cette façon — et c’est là ma manière de voir — la loi psychophysique cesse d’être une exception au principe général de la proportionnalité des effets aux causes. C’est ainsi que le travail qui effectue la compression d’un gaz est proportionnel au logarithme du rapport entre le volume initial et le volume final.

Je dois cependant mentionner un autre genre de relation proposé par Brentano. D’après ce philosophe, les accroissements relatifs de la sensation doivent être égaux, quand les accroissements relatifs de l’excitation le sont. Fechner, à la suite d’une correspondance qu’il a entretenue avec ce savant, n’a pas eu de peine à lui démontrer que, mise sous forme mathématique, cette loi s’identifie avec celle de M. Plateau dont il sera parlé plus loin.

Pour terminer l’exposé critique des arguments à priori, je n’ai plus qu’à dire un mot de l’argument téléologique mis en avant par Hering. Si la loi logarithmique était vraie, dit ce penseur, l’âme ne pourrait avoir une idée adéquate du monde que nous habitons[1]. Fechner ne repousse pas en principe, comme je le fais, les argu-

  1. Revue phil., loc. cit., p. 229, 234 sqq., 260 sqq.