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dans le vestibule de sa maison ; on défilait devant lui, et chaque citoyen, tenant son offrande à la main, la déposait, en passant, aux pieds de ce dieu terrestre. Ces dons consistaient en pièces d’argent, et le souverain rendait une somme égale ou supérieure. Cette coutume, qui survécut jusqu’à l’établissement du christianisme, fut condamnée par l’Église, parce qu’elle se rattachait aux institutions païennes. En 578, le concile d’Auxerre défendit les étrennes, qu’il flétrissait en termes énergiques. Ives de Chartres dit : « Il y en a qui acceptent de la part d’autrui et donnent eux-mêmes des présents diaboliques à l’occasion du nouvel an. » Au xiie siècle, Maurice, évêque de Paris, prêcha contre les mauvaises gens qui « ont foi dans les présents et disent que personne ne restera riche, dans le courant de l’année, s’il n’a pas reçu un présent au jour de l’an. » Malgré les interdictions ecclésiastiques, la coutume survécut jusqu’aux temps modernes ; maintenant les prêtres eux-mêmes, aussi bien que les autres, se conforment à cet usage de propitiation mutuelle. En outre, des cérémonies périodiques analogues se sont développées simultanément ; par exemple, en France, les œufs de Pâques. Les présents de ce genre ont subi des changements identiques à ceux que nous avons retracés pour les autres présents : d’abord modérés et volontaires, ils sont devenus ensuite extravagants et involontaires dans une certaine mesure.

Nous avons ainsi démontré qu’offert spontanément dans les temps primitifs par un membre d’une tribu à un autre, ou à un étranger dont on veut gagner la faveur, le présent devient, à mesure que la société se développe, l’origine de bien des choses.

Quand le pouvoir du chef politique grandit, on lui offre des présents en partie parce qu’on le craint, en partie parce qu’on désire son aide, et les présents, dont la vertu propitiatoire consistait primitivement dans leur valeur intrinsèque, deviennent maintenant propitiatoires, parce qu’ils sont des témoignages de soumission : ce dernier caractère a transformé leur offre en acte cérémoniel ; le premier a été la cause qu’ils se sont changés en tributs, devenus à leur tour des impôts. Simultanément, les provisions, etc., déposées sur la tombe de l’homme mort pour apaiser son esprit, se convertissant en offrandes plus grandes et plus fréquentes sur la tombe de l’homme mort illustre, et devenant enfin des sacrifices sur l’autel du dieu, se différencient d’une manière analogue. Le présent consistant en viandes, liqueurs ou vêtements, auquel on suppose d’abord une vertu propitiatoire, parce que ces objets sont réellement utiles à l’esprit ou au dieu, devient, par induction, un témoignage de soumission. Ainsi l’offre d’un présent devient un acte d’adoration, indépendam-