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herbert spencer. — études de sociologie.

devient à la fin, avec peu ou point de restriction, le maître de toutes les propriétés, ce qui amène naturellement un ordre de choses tel qu’il se trouve dans la nécessité de rendre à ses serviteurs et à ses sujets une partie de ce qu’il a accaparé. La subordination, marquée primitivement par les présents offerts, augmente maintenant jusqu’à un certain point par les présents reçus. Un peuple dont on peut dire, comme des Kukis, qu’ « ils possèdent uniquement en vertu d’une tolérance du rajah », ou un peuple, comme les Dahomans, « chez lequel tout appartient au roi, corps et biens, » sont évidemment l’un et l’autre dans une situation telle que la propriété, ayant afflué à l’excès au centre politique, est obligée, faute d’emploi, de retourner à sa source. C’est pourquoi, dans le Dahomey, quoiqu’aucun fonctionnaire de l’État ne reçoive d’émoluments, le roi distribue à ses ministres et à ses officiers des largesses royales. Sans aller bien loin pour chercher nos exemples, il suffira de noter ces relations de causes et d’effets depuis les temps primitifs de l’histoire européenne jusqu’à nos jours. Tacite dit des anciens Germains : « Le chef doit montrer sa libéralité ; et celui qui s’attache à lui y compte. Il demande tantôt ce cheval de guerre, tantôt cette lance teinte du sang de l’ennemi. La table du prince, quoique peu élégante, doit toujours être abondante ; elle est la seule paye de ceux qui le suivent. » C’est-à-dire qu’une suprématie qui a tout englobé a eu, comme conséquence, des largesses aux serviteurs. Le moyen âge est caractérisé par le même système modifié dans ses formes. Au xiiie siècle, « pour que les princes du sang, la famille royale, les grands officiers de la couronne et ceux… de la maison royale puissent apparaître avec distinction, les rois leur donnaient des vêtements, selon le rang qu’ils occupaient et d’après la saison où se tenaient les assemblées solennelles. Ces vêtements étaient appelés livrées, parce qu’ils étaient « délivrés » comme dons gratuits du roi : cet exposé montre nettement comment l’action de recevoir de pareils présents indiquait la subordination. Jusqu’au xve siècle, le duc de Bourgogne donnait à chaque fête aux chevaliers et aux nobles de sa maison a des bijoux et de riches cadeaux, selon la coutume du jour. » Ces présents, si nous y joignons la nourriture, le logement et les vêtements officiels pour eux-mêmes et leurs serviteurs, constituaient probablement la seule récompense de leurs services. Il est à peine nécessaire d’ajouter que pendant toute cette période historique les largesses distribuées au peuple par les rois, par les ducs et les nobles, étaient également une conséquence de cette position servile où la rétribution pour les services en dehors de la nourriture quotidienne, avait plutôt la forme de dons gratuits que d’un salaire. En