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que, par les Caraïbes, les Chibchas, les Mexicains ; et le même usage était général parmi les anciennes races de l’Orient. Les Esquimaux offrent périodiquement des vêtements aux morts à titre de présents. En Patagonie, on ouvre tous les ans les chambres sépulcrales et on donne aux morts de nouveaux vêtements ; il en était de même chez les anciens Péruviens. Quand nous lisons qu’un chef néo-calédonien dit à l’esprit de son ancêtre : « Père miséricordieux, voici de la nourriture pour toi ; mange-la, et sois bon pour nous à cause de cette offrande » ; ou quand le Veddah, appelant par son nom un parent mort : « Viens et prends ces mets ; donne-nous notre nourriture, comme tu le faisais pendant ta vie, » ce sont là des preuves incontestables que l’unique différence entre l’acte d’offrir des présents aux morts et celui d’en offrir aux vivants, consiste en ce que dans le premier cas celui qui les reçoit est invisible.

Nous remarquerons qu’il existe des motifs analogues pour obtenir la faveur des nombreux êtres surnaturels dont les hommes primitifs se croient environnés : nos ancêtres Scandinaves laissent pour les Elfes des fragments de pain et de gâteau ; aux jours de fête, les Dyaks placent des mets et des liqueurs sur les sommets des maisons, pour nourrir les esprits ; différentes races dans toutes les parties du monde jettent de côté des portions d’aliments et versent quelques gouttes de leur breuvage pour les esprits, avant de commencer leurs repas. Voyons maintenant comment la coutume d’offrir des présents se développe avec la conception de l’être surnaturel. Les objets offerts et les motifs pour les offrir restent les mêmes ; on déguise seulement cette identité par l’emploi de mots différents : on dit oblations pour la Divinité et présents pour les hommes. L’identité originale ressort de ce que dit Guhl au sujet des Grecs : « Les présents, selon un ancien proverbe, déterminent les actes des dieux et des rois ; » elle est également démontrée par un verset des Psaumes (lxxvi, 11) : « Faites des vœux, et acquittez-les envers le Seigneur votre Dieu ; que tous ceux qui se présentent apportent des offrandes à Celui qui doit être craint ! » De plus, nous trouverons un parallélisme très-significatif dans les détails.

Les mets et les liqueurs, qui constituent primitivement les présents propitiatoires offerts à un être vivant aussi bien qu’à un esprit, restent partout les éléments essentiels des oblations faites à une divinité. De même que, dans les sociétés où le pouvoir politique se développe progressivement, les aliments forment à l’origine la partie principale des présents offerts au chef d’abord irrégulièrement, ensuite régulièrement ; de même, dans les sociétés où se développe le culte des ancêtres et où l’esprit est devenu un dieu, les offrandes,