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herbert spencer. — études de sociologie.

verti en une taxe qui représentait ou bien les rentes réservées des anciennes possessions de la couronne, ou le tribut quasi-volontaire payé par la nation au chef qu’elle avait choisi. »

Ce passage indique à la fois que les dons volontaires sont devenus un tribut involontaire et que le tribut s’est transformé en taxe.

Si les dons volontaires, offerts pour gagner la faveur du chef suprême, se changent peu à peu en tribut et constituent dans la suite un tribut fixe, ne pouvons-nous pas nous attendre à ce que des dons offerts pour obtenir les services d’hommes puissants, quand leur aide est utile, deviennent également périodiques et finissent par se transformer en moyens de subsistance ? Le processus indiqué plus haut par rapport au plus grand fonctionnaire de l’État ne se répétera-t-il pas pour les fonctionnaires inférieurs ? Nous trouvons que la chose se passe ainsi.

Il faut d’abord remarquer que, outre les présents périodiques et ordinaires offerts comme acte de propitiation et de soumission, le chef suprême reçoit habituellement dans les temps primitifs des présents spéciaux, quand on invoque son pouvoir pour qu’il défende ou aide un sujet lésé. Chez les Chibchas, « personne ne pouvait paraître devant un roi, cacique ou chef, sans apporter un présent, qui devait être remis avant que la demande fût exposée. » Dans l’île de Sumatra, un chef « ne lève pas d’impôts et n’a ni revenu… ni émoluments de ses sujets… excepté ce qui lui est donné pour juger les causes. » Un usage semblable existe dans le nord-ouest de l’Inde. M. Drew nous dit de Sulab Singh, un des derniers chefs de Jummoo : « En donnant une roupie comme nazar (présent), tout le monde pouvait obtenir audience ; on pouvait même dans une foule attirer ses regards en élevant une roupie et en criant : Maharajah, une pétition. Il se précipitait comme un faucon sur l’argent, et, l’ayant pris, il écoutait patiemment le pétitionnaire. » Certains documents prouvent que, dans les temps anciens, il existait chez nous un semblable état de choses. « Nous pouvons aisément croire, dit Broom en s’appuyant sur un fait rapporté par Lingard, que peu de princes à cette époque (anglo-saxonne) refusaient d’exercer les fonctions judiciaires quand ils étaient sollicités par des favoris, tentés par des présents ou excités par la cupidité ou l’avarice. » En lisant qu’au commencement de la domination normande « la première démarche pour se faire rendre justice consistait à obtenir par pétition où à acheter à prix d’argent » l’ordre du roi commandant à l’accusé de paraître devant lui, nous pouvons conjecturer que le prix fixé pour ce document représentait ce qui avait été primitivement le présent offert au roi, pour obtenir son intervention comme