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Naturellement, cette cérémonie prend simultanément une forme plus étendue, car, là où il existe à la fois des chefs subordonnés et un chef supérieur, la faveur de ce dernier est recherchée par le peuple en général et par les chefs inférieurs. De là deux manières d’offrir des présents.

Un cas où l’usage a conservé son caractère primitif nous est fourni par le Tombouctou. Ici, « le roi ne lève pas de tribut sur ses sujets ni sur les marchands étrangers, mais il reçoit des présents. » Et Caillé ajoute : « Dans ce pays, il n’y a pas de gouvernement régulier. Le roi est comme un père qui gouverne ses enfants. Quand une dispute s’élève, il assemble le conseil des anciens. » C’est dire que les présents restent facultatifs là où le pouvoir royal n’est pas fort. Chez un autre peuple africain, les Kaffirs, nous voyons les présents perdre le caractère de dons volontaires. Les revenus du roi consistent en une contribution annuelle de bétail, de prémices des fruits, etc., et, quand un Koossa (Kaffir) ouvre son grenier, il doit envoyer un peu de grain à ses voisins et une plus grande portion au roi. En Abyssinie aussi, il y a un alliage semblable d’exactions et de dons volontaires : outre des contributions payées sous la forme de pièces d’étoffe et de blé, le prince de Tigré reçoit des présents annuels. Un système analogue de dons en partie réguliers et en partie facultatifs offerts par les peuples au roi est établi dans toute l’Afrique orientale. Si l’on se rappelle que là où le pouvoir royal est devenu fort, les sujets tiennent seulement leurs propriétés en vertu d’une tolérance, on comprendra cette tendance d’offrir, outre les présents qui cessent d’être des actes de propitiation parce qu’ils sont imposés par l’usage, d’autres présents qui sont des actes de propitiation parce qu’ils sont inattendus. Quand Burton nous rapporte qu’au Dahomey les habitants sont peu stimulés à acquérir des richesses, parce que le propriétaire en serait certainement dépouillé aussi souvent que cela en vaudrait la peine, et quand nous lisons à propos des anciens rois de Bogota que « non-seulement ils recevaient plusieurs fois l’an les tributs ordinaires et d’autres dons semblables, mais qu’ils étaient encore les maîtres absolus des propriétés et de la vie de leurs sujets, » nous pouvons voir pourquoi l’usage introduit toujours de nouveaux dons volontaires à côté des dons qui, ayant d’abord été facultatifs et irréguliers, sont devenus obligatoires et réguliers.

Si nous devons considérer les présents offerts par un particulier à son chef ou roi comme un acte de soumission, à plus forte raison faut-il considérer comme tel les présents offerts par un chef inférieur à un chef supérieur : ici, où l’insubordination est plus à craindre,