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herbert spencer. — études de sociologie.

usages parmi ces races américaines qui étaient parvenues de bonne heure, sous des gouvernements despotiques, à un haut degré de civilisation. Dans le Mexique, raconte Torquemada, « quand quelqu’un va saluer le chef ou roi, il emporte avec lui des fleurs et des cadeaux. » De même nous lisons à propos des Chibchas : « Quand ils apportaient un présent pour négocier ou pour parler avec le cacique (car personne n’allait le visiter sans lui apporter un cadeau), ils entraient la tête et le corps inclinés en avant ; » et les anciens habitants du Yucatan, « quand ils allaient à la chasse ou à la pêche ou quand ils rapportaient du sel, donnaient toujours une portion au chef. » Les peuples d’un autre type, comme les Malayo-Polynésiens, vivant dans un état social également avancé, sous l’autorité incontestée de leurs chefs, observaient cette même coutume. En parlant des objets donnés à la populace tahitienne en échange de provisions, de vêtements du pays, etc., Forster dit : « Cependant nous trouvâmes que toutes ces richesses allaient, comme présents ou tributs volontaires, augmenter le trésor des différents chefs, qui, à ce qu’il paraît, étaient les uniques possesseurs de toutes les hachettes et de toutes les haches d’armes. » Aux îles Fidji aussi, « quiconque demande une faveur au chef ou désire entrer avec lui en relations amicales doit apporter un présent. »

Par ces derniers exemples, nous pouvons voir comment l’usage d’offrir des présents aux chefs, après avoir été un acte volontaire de propitiation, devient un acte obligatoire ; car, enlisant que « les chefs Tahitiens pillaient les plantations de leurs sujets à leur gré, » et que dans les îles Fidji « les chefs s’emparent de force de la propriété des autres et de leurs personnes », nous avons la preuve manifeste que l’offre de présents s’est transformée en l’usage de donner une partie afin de ne pas perdre le tout. C’est à la fois le moyen de satisfaire la cupidité et celui d’exprimer la soumission.

Cependant il est rare ou il n’arrive jamais que dans une tribu simple l’usage d’offrir des présents atteigne ce développement. À l’origine, il n’existe pas une grande différence entre le chef et les autres membres de la tribu ; il n’est pas entouré d’hommes prêts à imposer de force ses volontés ; il n’inspire donc pas assez de crainte pour que l’offre de présents se transforme en une cérémonie habituelle. C’est seulement dans les sociétés composées, quand de nombreuses tribus ont été soumises par une tribu conquérante de la même race ou d’une autre, qu’il se forme une classe gouvernante composée de chefs supérieurs et inférieurs assez élevés au-dessus des autres et assez puissants pour inspirer la terreur nécessaire. Les exemples précédents sont tous empruntés à des sociétés où la royauté est déjà établie.