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Sous cette forme nouvelle, ces offrandes d’une partie d’eux-mêmes ou d’objets auxquels ils attachaient de la valeur, ou même d’objets sans prix, nous paraissent étranges. Mais elles le paraîtront moins si nous nous rappelons qu’en France nous pouvons tous les jours voir au pied d’un crucifix élevé sur une route un tas de petites croix faites de deux morceaux de bois cloués ensemble et dont la valeur intrinsèque n’est pas supérieure à celle des pailles, des bâtons et des pierres que les Péruviens donnaient comme offrande. Elles démontrent aussi cette vérité que l’acte d’offrir des présents se transforme en un acte cérémoniel exprimant un désir de propitiation. Nous pouvons voir par l’exemple de certains animaux intelligents, combien la substitution d’un présent nominal à un présent réel est naturelle, quand ce dernier est impossible à trouver. Un chien de chasse, habitué à plaire à son maître en cherchant les oiseaux tués, etc., prendra l’habitude de rapporter à d’autres moments un objet quelconque pour montrer son envie de plaire. En voyant pour la première fois le matin, ou après une absence, une personne envers laquelle il a des dispositions amicales, il ne se bornera pas aux démonstrations de joie habituelles, mais il cherchera et rapportera dans sa gueule une feuille morte, un rameau ou quelque autre petit objet qui se trouve à sa portée. Cet exemple, qui montre la genèse naturelle de cette cérémonie propitiatoire, nous fait aussi voir à quel infime degré commence le processus de la symbolisation ; il nous montre en outre comment l’acte symbolique est à l’origine une répétition de l’acte symbolisé aussi exacte que les circonstances le permettent.

Ces préliminaires nous ayant appris comment l’acte d’offrir des présents se transforme en un acte cérémoniel, nous allons observer les différentes variétés de cette cérémonie et les institutions sociales qu’elle a fait naître dans la suite.

Dans les tribus sans gouvernement, dans celles où le gouvernement est instable, et dans celles où l’autorité, quoique régulièrement établie, est faible, l’usage des présents n’est pas réglé. Les Australiens, les Tasmaniens, les Fuégiens en sont des exemples, et quand nous lisons des récits concernant les races sauvages américaines faiblement organisées, telles que les Esquimaux, les Ghinoks, les Serpents, les Comanches, les Chippeways, etc., ou touchant celles qui sont organisées démocratiquement, comme les Iroquois et les Creeks, nous remarquons, outre l’absence d’une forte autorité personnelle, que l’offre de présents comme observance politique est à peine mentionnée.

Ces récits forment un contraste frappant avec les descriptions des