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tions scolaires. Jamais on n’opposa à des attaques aussi confuses, aussi étourdiment violentes, une argumentation plus serrée, plus calme, assaisonnée de plus d’esprit. Quel contraste entre cette polémique et celle que Locke soutint quelque temps après au sujet du libre arbitre, contre son ami Limborch ! Dans les lettres qu’ils échangèrent à ce propos, pas une objection de Limborch qui ne soit l’expression courtoise et sincère d’un vrai scrupule, d’un doute réfléchi, motivé et de bonne foi ; pas un mot de Locke qui révèle la moindre obstination ou vanité : de part et d’autre, un sentiment unique, l’amour du vrai ; une même disposition admirable à s’incliner devant de bonnes raisons.

Les attaques passionnées sont rarement sans effet : celles de Stillingfleet furent sans doute cause que l’Essai fut, du vivant même de l’auteur, interdit dans les collèges ; défense fut faite aux « tutors » de le lire avec leurs « pupils ». Locke, que la lutte avait aguerri, s’en émut d’ailleurs médiocrement. « I take what has been done, écrivait-il à son jeune ami Collins, as a recommandation of that book to the world. » Même l’accusation d’hérésie ne pouvait maintenant l’effrayer plus que de raison. Il écrivait à Esther Masham : « Je veux puiser ma religion dans l’Écriture ; mais, qu’elle tombe sous telle dénomination ou sous telle autre, je m’en soucie peu, car je pense qu’au dernier jour il me sera demandé non pas si j’ai été de l’Église d’Angleterre ou de l’Église de Genève, mais si j’ai aimé, cherché et embrassé la vérité. » C’est dans ces sentiments qu’il passa les dernières années de sa vie, presque absolument retiré du monde à partir de 1700. De plus en plus affaibli, il ne quittait plus sa chère retraite d’Oates, où l’on venait le voir de tous les points de l’Angleterre. Il y attirait surtout son cousin, Peter King, membre du Parlement, le seul parent avec qui il fût en relations dans sa vieillesse ; mais sa vraie famille était celle de ses hôtes, où tout le monde rivalisait d’empressement auprès de lui, de soins affectueux dans ses heures de souffrance et de détresse. Sa toux était presque continuelle, ses étouffements plus fréquents et plus douloureux. Plusieurs fois, il fut en danger de mort. Depuis longtemps, ses jambes enflaient ; il ne sortait plus qu’en voiture. À la fin, il avait toujours aux pieds un froid intolérable. Dans l’intervalle de ses crises, il écrivait pourtant encore, par exemple un Essai sur les miracles et des Commentaires sur les Epîtres de saint Paul. Mais il n’eut pas le temps d’achever une quatrième « Lettre sur la tolérance », commencée à l’occasion d’attaques nouvelles, comme s’il eût voulu jusqu’à son dernier moment plaider contre les violents cette cause des sages, cause à la fois politique et philosophique, la grande passion de toute sa vie.