Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, V.djvu/494

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
484
REVUE PHILOSOPHIQUE

vie purement spéculative. En même temps qu’il écrivait sur des problèmes de théologie, préparait son Examen de la théorie de la vision en Dieu de Malebranche[1] ou son traité de l’Accord du Christianisme avec la raison[2], il s’intéressait encore de préférence aux questions d’une portée pratique. Pour son ami Molyneux, il recueillait et publiait ses excellentes Pensées sur l’éducation[3], que nous aurons à comparer aux vues de Rousseau. Non content de donner ses soins à la 2e et à la 3e édition de l’Essai, il surveillait de près l’Abrégé[4] qu’on en faisait pour l’introduire dans l’enseignement d’Oxford. Le Traité de morale qu’il avait projeté et que ses amis lui demandaient, ne vit pas le jour, parce que, toute réflexion faite, il voyait dans l’Evangile « le plus sûr guide de conduite ». En revanche, il avait le sentiment du bien qu’il pouvait faire en tâchant de faire triompher ses principes politiques. De là la part active qu’il prenait de loin aux travaux du Parlement. Il avait là des amis nombreux et déjà des disciples, quelques-uns au premier rang par le talent et l’autorité, comme l’attorney général et chancelier John Somers. Toutes les fois qu’était soulevée une question importante pour l’avenir du pays et sur laquelle Locke avait son opinion faite, il la traitait sous forme de lettre, en quelques pages lucides, qui circulaient parmi les membres de la Chambre, peut-être aussi dans le public, en attendant le jour du débat. C’est ainsi qu’à distance il plaida efficacement pour la liberté de la presse et contre la censure des journaux ; ainsi encore que, devant les embarras financiers de l’Angleterre, il saisit l’opinion de ces questions économiques à la fois si graves et si délicates (la valeur de l’argent, la monnaie, le taux de l’intérêt), auxquelles il avait des premiers appliqué la critique et l’analyse. Alarmé de l’état politique du pays, il cherchait sans relâche les moyens de faire porter à la révolution de 1688 tous ses fruits. À ses yeux, c’était de la liberté qu’il fallait attendre tous les remèdes et tous les bienfaits. Pour fixer mieux qu’il ne l’avait fait encore la théorie des relations entre le souverain et les sujets, il écrivit vers 1695 deux opuscules

  1. An examination of Pere Malebranche’s opinion of Seeing all Things in God, ne parut qu’en 1706 parmi ses œuvres posthumes. Il avait eu d’abord l’idée de faire de cette discussion un chapitre supplémentaire de son Essai.
  2. The Reasonableness of Christianity, publ. en 1695.
  3. Some Thoughts concerning education, publié dès 1693, mais d’abord sans le nom de Locke. Depuis longtemps il méditait et écrivait sur ce sujet ; son livre se trouvait comme prêt quand Molyneux le lui demanda.
  4. Cet Abrégé est de John Wynne (1696). Locke avait un moment songé à faire lui-même un remaniement complet de son ouvrage, en apprenant que Molyneux l’avait fait recevoir en 1692 comme livre scolaire à Trinity Collège, Dublin. — L’Abrégé de J. Wynne (évêque de Saint-Asaph, 1714) fut traduit en français par Bosset. Londres, 1751.