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marion. — john locke d’après des documents nouveaux

vain il avait commencé par éviter autant que possible d’entrer en relation avec les réfugiés politiques anglais, visitant les provinces du Nord, puis séjournant tour à tour à Leyde, à Utrecht, à Rotterdam : il était nécessairement suspect de conspirer avec les autres. Lorsqu’à la mort de Charles II et à l’avènement de Jacques II (1685), le duc de Monmouth échoua dans sa folle tentative d’insurrection et fut exécuté, le nom de Locke figura (le dernier) sur la liste de quatre-vingt-quatre conspirateurs, signalés au gouvernement hollandais par la cour d’Angleterre comme « complotant contre la vie du roi Jacques et la paix de la nation anglaise », et dont on demandait l’extradition. Troublé au delà de toute expression, Locke vécut longtemps caché à Amsterdam, puis voyagea sous des noms d’emprunt, alla jusqu’à Clèves, se vit éloigner d’Utrecht par la prudence ombrageuse des autorités locales. Cependant ses amis de Londres étaient intervenus en sa faveur ; ils obtinrent pour lui le « pardon » du roi. Mais lui, tout en les remerciant, répondit que, n’ayant à se reprocher aucun crime, il ne pouvait accepter aucun pardon. Cet incident et une maladie qu’il fit à Rotterdam furent d’ailleurs de nouvelles occasions pour lui d’éprouver le délicat et fidèle attachement de ses nouveaux amis comme des anciens.

Quand arriva la grande révolution de 1688, c’est en favori et ami des nouveaux souverains qu’il rentra en Angleterre. Guillaume d’Orange, à qui on l’avait depuis longtemps présenté, l’avait pris en estime singulière, l’avait fait confident de ses desseins, et finalement l’avait prié, en quittant la Hollande, de rester auprès de la reine Marie, pour faire la traversée avec elle quand le moment serait venu.

Débarqué à Greenwich le 12 février 1689, son premier soin fut de faire enfin imprimer l’Essai sur l’entendement. La dédicace[1] est datée du 24 mai, et l’ouvrage fut mis en vente quelques mois après, dès le commencement de 1690. Locke toucha trente livres pour ses droits d’auteur.

Le roi, qui à tout prix voulait le voir au service de l’État, le pria tout d’abord d’aller comme ambassadeur auprès de l’électeur de Brandebourg, qui bientôt devait être roi de Prusse. Il refusa, craignant pour sa santé la rigueur du climat. On insista en lui offrant Vienne, mieux encore, en le priant de désigner lui-même le poste qui lui plairait ; mais il tint bon, disant qu’il ne se croyait pas fait pour de si lourdes responsabilités, qu’il trouverait moyen de servir

  1. On lui a reproché, comme trop humble et trop flatteur, le ton de cette dédicace à lord Pembroke ; mais elle est tout simplement dans le goût et les habitudes du temps.