Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, V.djvu/484

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
474
REVUE PHILOSOPHIQUE

ce qu’il devait avoir à cœur avant tout, si nous en jugeons par le peu qu’il avait écrit jusque-là. Il n’avait encore rien publié (et ne publiera rien avant l’âge de cinquante-trois ans) ; mais de bonne heure il avait pris l’habitude d’écrire ses réflexions, de noter rapidement les pensées qui lui venaient, et même de rédiger ses notes en quelques pages, quand il en avait sur un même sujet de quoi former un tout[1]. Eh bien, ces divers petits essais, écrits avant 1667, nous le montrent fort occupé de religion et de politique, et surtout des rapports de l’État et de la religion. Tel est le fond commun de ces opuscules inédits, sur lesquels nous aurons à revenir pour y chercher le point de départ de sa pensée : « Reflections upon the Roman Commonwealth ; » — « Sacerdos ; » — « Infaillibilis scripturæ interpres non necessarius ; » — « An essay concerning Toleration[2]. »

Le voilà donc dans l’intimité de lord Ashley, le suivant tour à tour à Londres et dans ses terres, mais résidant le plus souvent avec lui à Exeterhouse, dans le Strand. Son premier soin fut de se mettre en relation avec les plus fameux médecins de l’époque, notamment avec Francis Glisson et Th. Sydenham. Le premier, à la fois médecin et métaphysicien[3], mais beaucoup plus âgé que Locke, ne paraît pas avoir exercé sur lui la moindre influence ; on sait seulement que, consulté sur la marche à suivre pour mener à bonne fin la guérison d’un abcès intérieur que Locke venait d’ouvrir à lord Ashley par une opération hardie, Glisson approuva et l’opération faite et les moyens proposés pour l’achèvement de la cure. Sydenham, au contraire, devint l’intime ami de Locke, l’associant à toutes ses recherches, l’appelant en consultation dans tous les cas curieux ou graves, le prenant pour juge de ses écrits et, plus d’une fois, pour collaborateur. Si l’on songe que ce médecin, dès lors célèbre dans toute l’Angleterre, est l’auteur de la Méthode pour guérir les fièvres, et que la médecine lui doit l’emploi du quinquina et du laudanum, on avouera que sa grande confiance au jugement de Locke, en matières médicales, est une forte preuve en faveur du goût de notre philosophe pour ces études et du sérieux de sa vocation. Quoique presque personne aujourd’hui ne sache que Locke a été médecin, il

  1. Lord King avait déjà publié une partie de ces premières notes de Locke, extraites de ses Common-place books ; mais on en a trouvé d’autres dans les papiers de la famille de Shaftesbury, avec un petit Essay concerning toleration, son premier écrit de quelque haleine, que M. Fox Bourne nous donne tout entier.
  2. Tous ces opuscules, excepté le Sacerdos, que lord King avait déjà fait connaître, ont été trouvés dans les Shaftesbury Papers, série VIII.
  3. Auteur d’un Tractatus de natura substantiœ energetica, etc., London, 1872, qui n’a peut-être pas été sans influence sur Leibnitz.