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lation de plus de 3 200 étudiants de tout grade, grâce à l’exclusion des plus turbulents royalistes et des plus effrontés viveurs. La réforme puritaine, décidée par le Parlement, accomplie par des commissaires spéciaux et appliquée par Owen avec un habile mélange de fermeté et de tolérance, avait d’ailleurs porté principalement sur la religion et la discipline. Pour les études proprement dites, on n’avait fait que remettre en vigueur le vieux programme traditionnel des sept arts : grammaire, rhétorique et logique, composant le trivium ; arithmétique, géométrie, musique et astronomie, composant le quadriviùm. Ajoutez l’usage obligatoire et exclusif du grec et du latin, même dans la conversation et les jeux. Locke acheva de devenir un parfait « scholar », comme on peut le voir par deux pièces de vers, une en latin, l’autre en anglais, qu’il composa à vingt-deux ans en l’honneur de Cromwell ; mais il se plaignit toujours, dans la suite, du temps qu’il avait perdu à ces exercices. Ses études scientifiques furent médiocres. Quant à la logique, elle ne lui inspira bientôt que du dégoût, car il avait une horreur instinctive des disputes de mots, des joutes scolaires, où l’on cherchait non pas à avoir raison, mais à briller aux dépens d’un adversaire, et c’est en quoi consistait encore la « dialectique » des écoles. Même en Angleterre, et trente ans après la mort de Bacon, régnait exclusivement la logique formelle, je ne dis pas d’Aristote, mais des commentateurs d’Aristote. La question du moment était de savoir s’il fallait accepter ou rejeter les modifications proposées par Ramus. À Oxford, on était généralement ramiste, par sympathie huguenote.

Incapable de se passionner pour ces études, Locke eut un moment d’amer découragement, doutant de lui-même et se demandant s’il était fait pour une telle vie. En haine de la pédanterie et de la fausse science, il lut des romans, rechercha les conversations agréables, se lia avec quelques jeunes hommes d’esprit, qui restèrent toujours ses amis, bref, vécut le moins possible de la vie scolaire et le plus qu’il put de la vie du monde. Son tuteur (un autre étudiant plus âgé, que l’on assignait comme mentor à tout nouveau venu pour la durée du trivium) était heureusement d’un caractère aimable et le contraria d’autant moins que Locke fut en mesure d’être bachelier avant l’expiration des délais ordinaires. Deux ans après, 1658, il était reçu maître es arts : preuve que ses libres lectures et le commerce de quelques esprits choisis, ennemis comme lui de la routine universitaire, n’avaient pas nui en somme à ses études. Peut-être aussi la liberté plus grande dont on jouissait à chaque grade conquis l’avait-elle réconcilié avec Oxford. Toujours est-il que, arrivé au terme de son septennium, il ne songea plus à partir et fut heureux d’être nommé senior student,