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lectuelle — elle essaie de trouver la loi qui relie la sensation, phénomène interne, à l’excitation, phénomène externe. Pour Fechner l’excitation ne produit pas directement la sensation ; elle dégage d’abord une force corporelle qui réside dans le système nerveux, et qu’il qualifie de psychophysique. Il en fait dépendre immédiatement l’activité spirituelle de la sensation.

Il y a donc ici trois termes reliés par trois relations nécessaires : la première entre l’excitation et la force psychophysique ; la seconde entre celle-ci et la sensation ; la dernière entre l’excitation et la sensation. On comprend sans peine que deux de ces fonctions étant connues, la troisième, quelle qu’elle soit, en est une conséquence. Or, Fechner admet hypothétiquement que la force psychophysique dégagée est proportionnelle à la quantité d’excitation ; d’un autre côté, l’expérience et le calcul lui ont démontré que la sensation croît comme le logarithme de l’excitation[1] ; dès lors la conclusion se présente d’elle-même : la sensation croît comme le logarithme de la force psychophysique mise en liberté par l’excitation.

Nous avons maintenant ainsi une équation entre deux termes tous deux intérieurs — la force nerveuse et la sensation — et aucun d’eux n’est directement mesurable. Mais ils le deviennent d’une manière indirecte, prétend Fechner, du moment que nous possédons une relation entre l’un des deux et une quantité directement mesurable. Or c’est précisément une relation de cette nature qui relie la sensation à l’excitation. Ce point est de la plus haute importance, comme on le verra par la suite.

L’excitation est directement mesurable : cela veut dire que je puis produire une quantité quelconque d’une espèce d’excitation donnée en prenant un nombre suffisant d’unités de cette même excitation. Ainsi, toute longueur peut naître du fait qu’on ajoute des mètres à des mètres, ou des millimètres à des millimètres ; en un mot, des unités (arbitraires) de longueur. Et de même, une lumière extérieure, celle de la lune par exemple, est égale à celle que répand un certain nombre de bougies ; un bruit déterminé peut être obtenu par l’accumulation de petits bruits égaux. D’ailleurs, l’éclat d’un corps lumineux est la somme des éclats émanant de chacune des particules lumineuses de ce corps ; et le bruit de la mer est la résultante des chocs de chacune de ses gouttes contre l’air ou les gouttes voisines. Mais aucune sensation ne se trouve dans ce cas ; aucune ne peut

  1. Rappelons-nous que cette rédaction veut simplement dire ceci : que l’excitation doit croître suivant une progression géométrique (telle que 1, 2, 4, 8…) pour que la sensation croisse suivant une progression arithmétique (telle que 1, 2, 3, 4…) ; car les logarithmes des nombres qui sont en progression géométrique forment eux-mêmes une progression arithmétique.