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de Locke[1] ; encore demeure-t-elle inachevée. En 1829, l’Essai fut réimprimé avec les principaux traités de Leibnitz[2], et ce fat tout. En somme, nous n’avons pas de Locke une édition courante et complète ; et personne parmi nous ne l’a lu en entier. Avouons-le même, le seul ouvrage de lui qui nous soit assez bien connu ne l’est à beaucoup d’entre nous qu’indirectement, par les Nouveaux Essais de Leibnitz et par les célèbres leçons de Cousin (leçons 15 à 25 du Cours de 1829). Pour la biographie de Locke et l’appréciation générale de son œuvre, nos sources habituelles sont de courtes notices dans les dictionnaires historiques et les différentes histoires de la philosophie[3]. La plupart ont été écrites moins d’après la lecture des textes que d’après les Éloges de Locke par son traducteur Coste et son ami Jean Leclerc, Éloges d’ailleurs intéressants et dignes de foi, mais un peu vagues (c’est le défaut du genre) et composés de souvenirs personnels, sans documents originaux[4].

Les Anglais, au contraire, regardant Locke, avec raison, comme une gloire nationale, et plutôt portés à exagérer qu’à méconnaître son importance, lui ont voué une sorte de culte. Comme Newton, il est chez eux l’objet d’une faveur non-seulement constante, mais croissante ; avec cette différence que Locke, abordable à un plus grand nombre de lecteurs, a plus d’admirateurs compétents. Il inspire aussi un enthousiasme plus vif, les questions multiples qu’il a touchées étant presque toutes de celles qui, encore aujourd’hui, sont vivantes et nous passionnent. Aussi la curiosité publique est-elle insatiable pour tout ce qui le concerne. Non-seulement ses ouvrages philosophiques sont classiques là-bas, comme chez nous le Discours de la méthode ; non-seulement d’excellentes éditions de ses œuvres complètes sont dans toutes les mains[5] ; mais on recherche avidement, on recueille avec un scrupule quasi-superstitieux les

  1. Œuvres philosophiques de Locke, nouv. édit., revue par M. Thurot. Paris, Bossange (impr. Firmin Didot), 7 vol. in-8o, 1822-25.
  2. La grande édition de 1768, Londres, 4 vol. gr. in-4o (3468 p.), réimprimée en 1777 et 1784 sous la direction de l’évêque de Carlisle, Edmond Law, a effacé toutes les précédentes (généralement en 3 vol. in-folio) et a servi de base à toutes les suivantes : 1801, 10 vol. grand in-8o ; 1812 ; 1823 ; 1826, etc.
  3. Œuvres de Locke et de Leibnitz. Paris, Didot, 1829, 1 gr. vol. in-8o, 2 colonnes.
  4. Mentionnons pourtant un article original de M. de Rémusat dans la Revue des Deux-Mondes, 1852.
  5. Éloge de M. Locke, par Coste, publié en février 1705 dans les Nouvelles de la république des lettres (Amsterdam), quelques mois après la mort de Locke, et toujours reproduit en tête de la traduction de l’Essai.

    Éloge historique de feu M. Locke, par Jean Leclerc (Amsterdam), 1705, publié d’abord dans la Bibliothèque choisie et souvent réimprimé depuis. C’était à l’origine une longue lettre de lady Masham, amie de Locke, chez laquelle le philosophe passa toute la fin de sa vie.