Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, V.djvu/453

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
443
ANALYSESsamuel smiles. — Le Caractère.

Samuel Smiles. Le Caractère, traduit de l’anglais, par Mme Ch. Deshorties de Beaulieu. (Paris, E. Pion, 1877, 1 vol. in-18.)

Il y aurait à faire sur le caractère une étude psychologique très-philosophique et même très-scientifique. Alexandre Bain en a tracé le cadre dans un chapitre de sa logique intitulé : logique du caractère, où il en ramène les éléments à trois catégories : l’activité, les sentiments, l’intelligence ; et où il indique les principes d’une classification des caractères. Le livre anglais intitulé le Caractère dont on vient de nous donner une élégante traduction française est loin de remplir ce cadre. Il n’y faut pas chercher de psychologie ni de morale sérieuse, et nous en parlons plutôt pour dire ce qui n’a pas été fait que ce qui s’y trouve. Le sujet en vaut la peine : à prendre la chose au point de vue pratique, connaître ce que Bacon appelle les tempérament moraux, ce serait se mettre à même de trouver le traitement qui convient aux maladies de l’âme. C’est là une entreprise difficile d’ailleurs, et les plus grands philosophes, comme Aristote et comme Kant, ne nous ont donné là-dessus que des descriptions plus ou moins fidèles, et je ne parle pas des moralistes comme Théophraste ou Labruyère qui ont traité des mœurs et n’ont pas essayé cette réduction rigoureuse des caractères humains à quelques types élémentaires, pas plus qu’ils n’en ont fait l’embryologie.

Le livre de M. Samuel Smiles nous dit en termes vagues que le caractère est « l’une des forces motrices les plus puissantes qu’il y ait au monde », que l’homme de caractère est supérieur à l’homme de talent et à l’homme de génie, que les nations ont un caractère comme les individus, mais il n’indique pas même les rapports du tempérament et du caractère sur lesquels Kant a établi sa distinction surannée, il est vrai, mais non remplacée, du sanguin, du mélancolique, du flegmatique, du colérique. L’influence de l’éducation, du milieu, la part de l’initiative propre dans sa formation, sont notées mais dans des chapitres sans lien, véritables tiroirs à anecdotes, bourrés de citations, de moralités banales. C’est un livre bien anglais par les faits et les exemples qui y sont amoncelés. Il faut prodigieusement savoir de choses pour faire un livre aussi indigeste. Mais nous avons tort de le juger sévèrement en lui appliquant une mesure qui ne lui convient pas. Nous le jugeons au point de vue philosophique ; et l’auteur nous dirait qu’il n’a voulu donner qu’un recueil de maximes de sagesse courante et vulgaire, assaisonné d’exemples et de bons mots pour le faire passer ; à ce point de vue, ce serait un bon ouvrage de distribution de prix dans les pensions de jeunes filles, et les mères pourraient avoir aussi, disons-le, plaisir et profit à le consulter.

E. de La Hautière.