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premier lieu, l’idée de force est manifestement une donnée sensible, relative à la constitution du système musculaire et du système nerveux de l’homme. À qui le contesterait, il suffirait de demander ce que deviendrait cette idée pour un être intelligent, placé dans un monde où la gravitation des éléments de la matière n’existerait pas. M. Magy en explique très-correctement la formation par la réaction d’un corps qu’on soulève et qui tire le muscle en bas dans la direction de la pesanteur (p. 20) ; et il admet que la loi d’attraction est une loi contingente (p. 22). Puis il transporte en métaphysique les conceptions de la mécanique, ce qui est bien la méthode propre du matérialisme. Il entend la force dans le sens scientifique du mot : ce qui commence un mouvement ou modifie un mouvement commencé (p. 360, 395). Il définit expressément la causalité par faction transitive d’une force sur une autre (p. 326). Il proclame enfin que la somme de l’énergie potentielle et de l’énergie actuelle est constante dans l’univers (p. 336).

En second lieu, l’idée de liberté est évidemment une notion morale ; elle implique une hétérogénéité radicale de l’âme autonome et de la matière soumise au déterminisme mécanique, à la loi de l’invariabilité de la force vive ; et elle conduit à un dualisme irréductible de la volonté créée et de la volonté créatrice. M. Magy ne peut éviter ces conséquences ; il reconnaît que l’âme, en recevant la raison et la liberté, se dépouille de toutes les propriétés organoleptiques par lesquelles les forces inférieures se manifestent à nos sens ; « qu’elle ne tombe ni sous le scalpel, ni sous le microscope, ni sous la balance, qu’elle n’est capable ni d’attraction à distance, ni de cohésion moléculaire, ni d’affinité chimique (p. 405) ; » et il maintient qu’elle commence et suspend librement les mouvements qu’elle imprime au corps. Il reconnaît de même que « la puissance qui donne l’être ne peut être assimilée à la puissance douée seulement de l’aptitude à le modifier » ; que le Créateur et la créature « sont des forces essentiellement hétérogènes (p. 125). »

Enfin le principe de l’universelle homogénéité est éminemment rationnel ; il revient à peu près à la loi de continuité. Complété par l’affirmation de l’universelle harmonie, il constitue une excellente formule du déterminisme et semble pouvoir se ramener au principe de raison suffisante, le grand ressort du monisme leibnitzien. Il implique sans doute une unité radicale où se fonde l’harmonie de la pluralité phénoménale ; mais il ne conduit pas logiquement à une pluralité de substances ; la conscience de l’harmonie universelle s’explique en chaque esprit individuel par la conscience de l’unité suprême, sans que cette conscience de la substance attribuée à un mode de la substance soit plus incompréhensible que ne le serait la connaissance de la cause créatrice accordée à certaines créatures.

Tels sont les éléments d’origine et de direction différentes, qu’il est facile de discerner dans la doctrine philosophique de M. Magy. Son effort a eu pour but de les rapprocher, de les développer, de les faire vivre ensemble, de manière à former, par réconciliation des doctrines