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Il reste à montrer comment sont assurées la production et la conservation de la forme d’hétérogénéité propre aux êtres organisés.

C’est un principe que tout changement tend à établir l’équilibre des forces, et qu’il persiste jusqu’à ce que cet équilibre soit atteint. Il en résulte que dans un agrégat les forces doivent être arrangées de façon à contrebalancer toutes les forces auxquelles l’agrégat est soumis. Mais l’organisme est incessamment soumis à des systèmes incessamment variés d’actions extérieures ; chaque changement au dehors amène donc en lui une rupture d’équilibre ; s’il n’en est pas détruit, les forces intérieures troublées travaillent à se remettre en équilibre avec le système nouveau des forces externes, auxquelles elles sont exposées ; il en résulte un nouvel arrangement, plus ou moins lent à s’établir, qui a pour effet de remettre l’organisme en balance avec son milieu. Donc « les modifications accumulées dans les organismes, causées par les changements incessants des milieux, ont été des effets nécessaires de l’établissement d’un équilibre nouveau avec de nouvelles combinaisons des conditions… Toute nouvelle hétérogénéité est une addition d’un changement de structure, imposé par une nouvelle équilibration des changements nouveaux. »

Cette équilibration s’accomplit tantôt dans l’individu, tantôt dans l’espèce seulement. En effet, des facteurs externes sur les organismes, les uns agissent d’une façon continue, les autres par intermittence ; les fonctions des individus s’ajustent d’elles-mêmes aux premières ; c’est l’adaptation par équilibration directe ; l’espèce seule, considérée comme un tout continu, se met en équilibre avec les secondes ; c’est la sélection naturelle ou l’équilibration indirecte ; les membres les plus faibles d’une espèce, incapables de résister aux perturbations du milieu, succombent ; les plus forts subsistent et se mettent peu à peu en harmonie avec les conditions nouvelles d’existence, jusqu’à ce que « l’espèce, dans son ensemble, se trouve amenée à l’état d’équilibre complet avec le facteur nouveau. »

Ainsi, et ce sont là les conclusions générales de M. Spencer, « tout agrégat organique, qu’on le considère individuellement ou comme une espèce douée d’une existence continue, est modifié à nouveau par chaque distribution nouvelle des forces extérieures. À ces différenciations préexistantes, de nouvelles différenciations s’ajoutent ; ainsi ce passage graduel d’un état plus homogène à un état plus hétérogène, qui aurait une limite fixe si les circonstances étaient fixes, a sa limite perpétuellement reculée par le changement perpétuel des circonstances. En attendant, la complexité croissante de structure qui en résulte doit, dans la moyenne des cas, s’accompagner d’une augmentation du caractère défini de la structure, puisque les organismes qui peuvent seuls survivre sont ceux qui se soumettent à des agrégats de forces qui ne sont pas au fond très-différents de ceux auxquels leurs structures correspondent. Enfin, en même temps que la progression est rendue nécessaire, comme résultat général, le changement de struc-