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même qu’il serait impossible de la remplacer. Elle appartient à la famille des croyances primitives qui se sont peu à peu éteintes, et elle en est probablement le dernier membre survivant dans les esprits cultivés ; elle n’a pour elle aucune preuve, ni externe ni interne ; nul fait ne dépose en sa faveur, et il est impossible de s’en faire une idée cohérente. Qu’appelle-t-on en effet création spéciale ? Est-ce une création e nihilo ? Une telle chose est inconcevable. — Est-ce un brusque arrangement de la matière préexistante ? Alors comment a-t-il lieu ? — Nous ne pouvons pas imaginer qu’un individu surgisse tout à coup du néant ou sorte d’un réarrangement subit de la matière, et nous supposerions que pour les espèces, collections d’individus, il en est autrement ! Si au moins l’hypothèse satisfaisait les besoins théologiques et moraux pour lesquels elle semble avoir été faite. Mais, s’il y a un plan dans la nature, l’auteur de ce plan a voulu tout ce qui en résulte ; dès lors il a voulu l’existence des parasites, la mortalité prématurée et hors de proportion en certaines espèces, tous les maux en un mot ; et comment concevoir que ce soient là les meilleurs moyens pour assurer le bonheur de l’humanité ?

Tout autre est l’hypothèse de l’évolution. Tard venue, elle mérite confiance ; elle fait partie d’une famille de croyances qui va s’élargissant chaque jour ; elle peut se concevoir, sinon dans les détails, au moins dans les grandes lignes ; l’expérience de l’évolution spéciale de chaque végétal, de chaque animal nous aide à la comprendre ; elle repose sur des faits bien et dûment constatés ; enfin elle est conforme à l’idée que la plupart des hommes se font de la providence divine ; pour accomplir un plan par une opération persistante, adaptée à toutes les éventualités, il faudrait plus d’adresse que pour l’accomplir au moyen d’opérations qui luttent contre ces éventualités à mesure qu’elles se produisent ; en outre, l’évolution assure la multiplication et la suprématies des meilleurs, et elle réalise ainsi, lentement, mais sûrement, la plus grande somme de bonheur.

Ce parallèle est tout en faveur de l’hypothèse de l’évolution. Il est en outre des ordres entiers de faits de classification, d’embryologie, de morphologie, de distribution, qui, sans elle, ne peuvent être expliqués.

C’est un fait que partout où nous pouvons suivre une descendance, une multiplication et une divergence directes, c’est-à-dire une évolution, comme dans l’histoire des langues en particulier, nous voyons des groupes généraux, aux différences accentuées, se subdiviser en groupes plus restreints, aux différences de moins en moins tranchées. Or que voyons-nous dans la nature vivante ? Chaque sous-règne animal, pour ne pas parler des plantes, se distingue profondément des autres par le plan d’organisation, et, à mesure que les groupes secondaires se restreignent, les différences s’atténuent. — C’est précisément l’arrangement qui résulte de l’évolution. — En outre, entre les groupes produits par évolution, il existe des transitions graduelles. N’en est-il pas ainsi dans le règne animal et dans le règne végétal ? Ne trouve-t-on pas, au