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MORALISTES ANGLAIS CONTEMPORAINS


M. H. SIDGWIGK[1]

(FIN)


IV

La critique à laquelle M. Sidgwick soumet l’intuitionisme est subtile, parfois pénétrante, mais, somme toute, beaucoup moins décisive que celle dont la morale de l’égoïsme a été l’objet au livre précédent de l’ouvrage : nous allons essayer d’en donner un rapide aperçu.

Le postulat fondamental de la doctrine intuitioniste, c’est que nous avons la faculté de connaître, avec une certitude immédiate, quelles actions sont en soi, et abstraction faite des conséquences, moralement bonnes, quelles autres moralement mauvaises. On peut douter si le jugement porte sur les actes, ou sur la nature des motifs et des dispositions de l’agent. M. Sidgwick croit pouvoir affirmer qu’aux yeux du sens commun c’est l’action elle-même dont l’intuition saisit d’abord et essentiellement le caractère moral ; car on admet généralement qu’une mauvaise action peut être faite par un bon motif, ou qu’inversement le motif peut être mauvais et l’action bonne.

Sur cette vague autorité du sens commun, l’auteur nous paraît ici trancher un peu vite une question délicate. Je n’accorde pas qu’on puisse, en morale, séparer l’action du motif, et je maintiens que le véritable, le seul objet du jugement, c’est non pas l’acte, mais l’intention. Seulement, en fait d’intentions, nous ne connaissons rigoureusement que les nôtres ; encore faut-il parfois y regarder de bien près ; celles d’autrui, nous les induisons des résultats extérieurs quelles produisent, c’est-à-dire des actions. J’avoue que le sens commun juge souvent mauvais des actes qu’il croit inspirés par un

  1. Voir le numéro précédent de la Revue philosophique, page 263.