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ment particulier de satisfaction qui se produit dans ces cas est dû à la présence de relations organiques profondément enracinées, conformément auxquelles le sentiment immédiat de la souffrance éveille irrésistiblement l’idée des signes (perceptibles à l’ouïe et à la vue) de la sympathie d’autrui ; et, d’un autre côté, les signes de souffrance chez un autre excitent l’impulsion à répondre nous-mêmes par une expression de douleur. C’est de la satisfaction donnée à ces dispositions organiques que peut procéder le plaisir particulier causé par un échange réciproque de sympathie.

Nous pensons qu’il est encore plus facile de démontrer l’existence de pareilles tendances organiques, en nous rapportant à la manière dont la communication mutuelle des sentiments semble avoir pris naissance. D’après M. Herbert Spencer, les animaux vivant en société ont appris d’abord à interpréter les signes de plaisir et de peine en éprouvant simultanément la souffrance et la crainte, le soulagement et la satisfaction. Ainsi, par exemple, ils étaient souvent soumis aux mêmes conditions de la faim, aux mêmes sentiments de crainte en présence d’ennemis pillards. De cette manière une association s’établissait dans l’esprit de l’animal entre les signes de crainte chez un autre et le sentiment correspondant en lui-même. Mais ces expériences simultanées ne pouvaient-elles pas avoir encore d’autres conséquences ? Si elles ont été suffisamment nombreuses, elles ont amené probablement la formation de relations organiques entre les signes sensibles correspondant aux cris, etc., des autres animaux et les impulsions motrices qui produisent ces cris dans l’animal, et de cette manière a dû naître l’impulsion qui excite à répondre à un cri entendu, et, d’autre part, le désir d’entendre un cri de sympathie quand l’animal est soumis à une épreuve propre à le provoquer.

Si maintenant nous ajoutons à cet argument hypothétique la considération déjà exposée, à savoir que l’impulsion qui excite à exprimer des états de souffrance a dû, à cause de son utilité supérieure, se développer antérieurement et atteindre une plus grande énergie que l’impulsion qui excite à exprimer des états de satisfaction et de plaisir, nous sommes amenés à conclure que parmi les animaux vivant en société la relation organique ou l’association entre les signes de douleur d’un autre animal et l’action musculaire qui produit l’expression de la propre douleur de l’individu, a dû s’imprimer plus fortement que l’association dans le cas de sentiments agréables.

De cette manière donc, il semble possible de rattacher la satisfaction particulière qui provient de l’échange simultané des expressions les plus raffinées de la douleur et du regret, parmi les hommes