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Révue. Au milieu de cette masse d’écrits, il en est peu qui soient aussi hypothétiques que le livre de M. Luys, et je ne crois pas que les théories de M. Luys aient été, dans leur ensemble, adoptées par un seul de ces physiologistes. C’est donc à tort que M. Egger, pour caractériser la méthode psycho-physiologique, s’exprime en ces termes peu bienveillants : « On apprend désormais à connaître l’âme, non par la réflexion, mais par l’autopsie des cerveaux avariés ; le trépan et le scalpel ont détrôné la conscience. »

Cette même confusion se retrouve à chaque instant dans l’esprit de M. Egger ; à ses yeux l’anatomie et la physiologie sont à peu près une même science, tandis qu’il y en aurait une autre, toute différente, quant à son objet et à ses moyens, qu’on pourrait appeler la psychologie. Pour démontrer cette proposition étrange, voici le raisonnement de M. Egger que je livre aux méditations du lecteur : « Pour les organes autres que le cerveau, la fonction, c’est la fonction de l’organe, c’est l’organe en fonction, l’organe en mouvement, l’organe plus quelque chose : pour le cerveau, la fonction est sui generis, à part son rapport avec l’organe, hétérogène à l’organe, à tout organe et à tout mouvement ; c’est un monde à part, le monde inétendu. »

Telle est la logique de M. Egger. Elle le conduit à cet axiome : aucune découverte ne pourra établir entre une pensée et un élément cérébral le lien qui existe entre un muscle et une contraction. — Malheureusement si les raisonnements de M. Egger le conduisent à un résultat, les expériences conduisent à un autre tout différent ; non pas que l’analogie soit complète et en dehors de toute discussion, mais, par le fait même que les expériences comportent la discussion, elles n’en sont que plus intéressantes et ne font qu’infirmer la proposition de M. Egger. Les modifications électriques, thermiques, vasculaires de la pulpe cérébrale ont été soigneusement étudiées et enregistrées. On a pu calculer le retard de la sensation, de la perception, douloureuse ou sensitive ; on a comparé ces phénomènes avec les phénomènes musculaires, et il faut une foi bien robuste pour ne pas se préoccuper un instant de toutes ces recherches, ne fût-ce que pour en combattre les conclusions. C’est seulement quand on aura lu, médité ces expériences, au besoin expérimenté soi-même, qu’on pourra se faire une opinion sérieuse, réfléchie, respectable, sur ce qu’on entend par le mot cerveau et le mot fonction du cerveau. Pour affirmer un fait, tous les raisonnements les plus habiles ne valent pas une bonne expérience.

Un autre avantage de la méthode expérimentale sur la méthode logique, c’est qu’elle comporte le progrès, et ne prétend jamais être en possession immédiate de la vérité absolue ; la science procédant par cette méthode est toujours en voie de formation, chaque jour