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LE PESSIMISME

ET

LA POÉSIE



Nous sommes enclins à supposer que les plaintes pessimistes contre le monde, trait si caractéristique de la littérature moderne, sont le produit particulier de notre époque. On dit qu’elles sont un signe de l’esprit moderne, le symptôme morbide d’une vie trop raffinée et de l’épuisement de l’énergie intellectuelle. Cependant l’auteur d’un ouvrage récent sur « le Pessimisme » nous rappelle que les plaintes sur la vanité et les contrariétés de la vie ne se rencontrent pas seulement dans la littérature moderne. Dans les ouvrages contemplatifs et philosophiques des anciens aussi bien que dans leurs œuvres d’imagination plus légères, ou trouve de nombreux exemples d’une vue aussi désespérée des choses. C’est surtout dans la poésie que les lamentations sur le triste sort de l’homme semblent former un élément constant. Même dans la poésie des Grecs, que nous sommes disposés à nous représenter comme d’heureux enfants, aspirant le soleil de leur beau climat et s’abreuvant des délices de la nature et de l’art, nous entendons ces mêmes accents plaintifs. C’est là que nous rencontrons une des plus touchantes de toutes les lamentations humaines : « Il vaudrait mieux pour les enfants des hommes n’être jamais nés. » Ainsi la mélancolie moderne, avec son Weltschmerz et ses soupirs après les dieux disparus de la Grèce, n’est après tout qu’une forme plus artificielle et plus réfléchie d’une impulsion très-ancienne et profondément enracinée.

À première vue, nous pourrions être étonnés de voir que le poète, dont l’esprit parait être sous le charme de la beauté, aime à se livrer si souvent à de tristes gémissements. Sans doute il y a un moyen facile d’arranger la difficulté. Le poète, peut-on dire, doit étaler la vérité à nos yeux, éloigner les brouillards qui troublent ordinairement nos perceptions et révéler la réalité des choses. Ainsi le pessimiste voudrait citer ces plaintes poétiques comme autant de preuves du néant absolu de la vie. Ce raisonnement cependant repose sur une hypothèse qu’il est difficile d’admettre. Il est généralement reconnu