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lévêque. — l’atomisme grec et la métaphysique

dialectique platonicienne, il s’éloigne de la sensation et il se rapproche d’abord de ces conceptions générales, puis de ces idées absolues au moyen desquelles il fait l’unité, en imposant ces idées à la multitude des sensations contradictoires. Donc, à vrai dire, pour Platon, dans la connaissance, c’est la sensation qui joue le rôle de matière, c’est l’idée, l’intelligible qui joue le rôle de forme. Par conséquent, ou les textes répétés de Sextus Empiricus sont autant de faussetés, ou chez Démocrite, en vertu de ses ressemblances avec Platon, c’est la sensation qui serait la matière de la connaissance, c’est la notion rationnelle qui en serait la forme. Il n’est donc pas possible de dire précisément le contraire et d’affirmer que, pour Démocrite, la sensation est la forme de la connaissance, et la raison en fournit la matière. Redisons-le : les textes s’y opposent.

Mais, quoique notre interprétation soit la plus naturelle, nous n’y tenons nullement. En ce qui touche Démocrite, des explications tirées de l’opposition de la matière et de la forme sont prématurées, qu’on les propose dans un sens ou dans un autre. Pour plus de sûreté, laissons de côté ces anticipations historiques. Toutefois, cela fait, il restera chez Démocrite, de même que chez Platon, deux genres de connaissances, l’une ténébreuse, sans vérité, l’autre vraie et lumineuse. Démocrite n’ayant en aucun endroit mis d’accord la raison et les sens, il restera qu’il est dogmatique à l’égard de la raison, mais sceptique à l’égard des sens. Écoutons encore Sextus Empiricus. Dans un chapitre spécial, intitulé : « En quoi la théorie sceptique diffère de la doctrine démocritique, » Sextus Empiricus dit :

« On prétend que la. philosophie démocritique se confond avec le scepticisme, puisqu’elle emploie les mêmes arguments que nous, quand Démocrite dit que le miel paraissant doux aux uns et amer aux autres, ni le doux ni l’amer n’existent en eux-mêmes, — et quand Démocrite à cause de cela proclame la formule sceptique : « Pas plus l’un que l’autre. » Cependant les sceptiques d’une part et les démocritéens de l’autre n’emploient point cette formule dans le même sens. Les démocritéens en effet entendent par cette formule que (deux sensations de même genre étant toujours en contradiction) il ne faut tenir pour vraie ni l’une ni l’autre ; tandis que nous sceptiques nous voulons dire par là que nous ignorons s’il faut les accepter l’une et l’autre ou les rejeter toutes les deux. Ainsi nous différons d’abord en ce point. Mais voici en quoi la différence entre nous devient tout à fait éclatante : c’est lorsque Démocrite proclame que le vide et les atomes existent réellement. En effet, chez lui, le mot réellement (ἐτεῆ) est employé pour signifier véritablement. Or,