Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, V.djvu/380

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
370
revue philosophique

M. Zeller, reproche aux atomistes d’avoir mal expliqué la cause du mouvement ; mais ce reproche tombe à faux lorsque l’on sait que les atomistes avaient rapporté le mouvement au fortuit, au hasard. Or, on peut appeler ce premier mouvement fortuit, lorsqu’on n’entend par fortuites que les choses qui se produisent indépendamment d’une cause finale. Quant à comprendre, par cette expression de fortuit, un accident sans cause naturelle, les atomistes en étaient tellement éloignés, qu’ils ont plusieurs fois expressément déclaré que rien dans le monde n’arrive par hasard, mais est produit par la nécessité en vertu de raisons constantes[1]. » Si cette interprétation est, comme nous le croyons, conforme à l’esprit de la doctrine atomistique, si Démocrite n’a exclu des principes de l’univers que la cause finale, en maintenant au contraire une certaine puissance qui produit et le mouvement et les lois fixes de la nature et qui mérite d’être appelé λόγος, la raison, quelque vague que soit encore ce mot dans la langue de Démocrite, il a déjà cependant une partie de sa signification. Dès lors, et cette signification fût-elle purement mathématique, comme le soutient Lange[2], il est permis de dire que, selon Démocrite, c’est la raison qui est le principe des choses, même au-dessus des atomes, voués par leur essence à l’immobilité. Or, je le demande, l’axiome, si énergique dans sa concision un peu confuse, qui proclame que rien ne naît à l’aventure, mais que tout se produit en vertu de la raison et de la nécessité, c’est-à-dire évidemment en vertu de certaines lois, Démocrite le démontre-t-il ? Nullement. Il le pose à titre de vérité incontestable. Quant à l’avoir tiré de la perception sensible, la connaissance la plus superficielle de l’atomisme suffit à nous convaincre que les résultats de la sensation n’y ont rien de commun avec des jugements généraux.

On m’objectera, et j’ai commencé par m’objecter à moi-même, que la plupart des philosophes anciens admettaient de telles propositions générales sans contrôle, sans critique, qu’ils les répétaient inconsciemment après les avoir reçues de la tradition. On rappellera que ces maximes de sagesse se retrouvent chez les gnomiques et chez les tragiques, qui les ont léguées aux premiers penseurs, et que ceux-ci

  1. Ed. Zeller. La philosophie des Grecs, etc., t. 1er, 4e édition, p. 789. « Zufällig kann diese Bewegung nur dann genannt werden, wenn man unter dem Zufälligen alles das versteht, was nicht aus einer Zweckthätigkeit hervorgeht ; soll dagegen dieser Ausdruck ein Geschehen ohne natürliche Ursachen bezeichnen, so sind die Atomiker so weit entfernt von jener Behauptung, dass sie vielmehr umgekehrt ausdrücklich erklären, nichts in der Welt geschehe zufällig, sondern alles erfolge mit Nothwendigkeit aus bestimmten Gründen. »
  2. Lange, Geschichte des Materialismus, 3e édition, Iserlohn, 18 ? 6, t. 1er, page 13. Traduct. fr. de M. Pommerol, p. 14. 1er vol. Paris, Reinwald, 1877.