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et il le considérait si bien comme incontestable, comme évident, que le contraire et toute proposition qui en impliquait le contraire était absurde pour lui. C’est, par exemple, au nom de cette absurdité, qu’il démontre l’indivisibilité finale de l’atome. Cette démonstration, nous la possédons : Aristote l’a citée en entier, et la voici : « Puisque le corps est censé doué de cette propriété (la divisibilité à l’infini), admettons qu’il soit absolument ainsi divisé. Mais alors que restera-t-il donc après toutes ces divisions ? Sera-ce une grandeur ? Mais cela n’est pas possible, car alors il y aurait quelque chose qui aurait échappé à la division, et l’on supposait au contraire que le corps était divisible sans aucune limite et absolument. Mais s’il ne reste plus ni corps ni grandeur, et qu’il y ait cependant encore division, ou bien cette division ne portera que sur des points, et alors les éléments qui composeront le corps seront sans aucune grandeur ; ou bien il n’y aura plus rien du tout (ἢ ἐϰ στιγμῶν ἔσται ϰαὶ ἀμεγέθη ἐξ ὦν συγϰεῖται (τὸ σῶμα), ἢ οὐδὲν παντάπασιν). Par conséquent, soit que le corps vienne de rien, soit qu’il soit composé (le supposer divisible à l’infini), c’est toujours réduire le tout à n’être qu’une apparence[1]. » — Ainsi, faire provenir un corps du rien, le composer avec des riens, le réduire à n’être qu’une apparence, autant d’absurdités pour Démocrite. S’il ne le dit pas en propres termes à cette page, s’il nous laisse le reconnaître et le dire nous-mêmes/à la page suivante le mot décisif est écrit en toutes lettres : « II est absurde de croire que la grandeur puisse jamais venir de choses qui ne sont pas des grandeurs : ἄτοπον ἐϰ μὴ μεγεθῶν μέγεθος εἶναι[2]. » Si cela est absurde, le contraire est évident. C’est donc, on le voit, un axiome, dans cette doctrine, que tout corps se compose d’une matière préexistante ; et cet axiome se confond avec le principe général que : rien ne vient de rien.

Démocrite ne se contente pas d’affirmer l’atome tantôt comme la conséquence nécessaire du principe général des substances, tantôt comme la seule réalité véritable et certaine avec le vide ; on dirait qu’il. se soit attaché à dépouiller systématiquement l’atome des caractères qui, en le plaçant sous la prise des sens, l’abaisseraient au niveau de l’expérience. Si quelque partisan exclusif de l’expérience sensible était tenté de compter Leucippe et Démocrite parmi les philosophes de son opinion, il n’aurait pour se détromper qu’à prendre connaissance des textes suivants.

Leucippe, au rapport d’Aristote, déclarait que les atomes, qui sont

  1. Arist, Génér. et Corrupt., liv. I, ch. ii, § 11, 12 : Didot, p. 435, trad. fr., p. 17.
  2. Ibid., trad. fr., p. 19.