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lévêque. — l’atomisme grec et la métaphysique

ment des bornes, des limites, des distances. Bien avant Simplicius[1], Cicéron avait insisté avec la dernière précision sur cette immensité vraiment infinie du vide : « Ille (Democritus) atomos quas appellat, id est corpora individua propter soliditatem, censet in infinito inani, in quo nihil nec summum nec infimum nec medium nec ultimum nec extremum sit, ita ferri, ut concursionibus inter se cohærescant[2]. »

Enfin, ce qui ne doit laisser aucun doute sur l’origine exclusivement rationnelle que Démocrite attribuait à la notion du vide, c’est un texte catégorique, décisif, que Sextus Empiricus a cité en reproduisant les expressions mêmes de la langue du philosophe et en les traduisant en mots grecs du vocabulaire usuel : « La différence qui nous sépare de Démocrite, quant au scepticisme, devient éclatante lorsque Démocrite dit : Les atomes et le vide existent réellement, ἐτεῇ ; or, par ce mot réellement, ἐτεῇ, Démocrite veut dire : véritablement, ἀντὶ τοῦ ἀληθείᾳ[3]. » Ainsi, Démocrite affirmait l’existence réelle et certaine du vide et des atomes ; en cela, il différait des sceptiques ; mais il doutait de la sensation, dit Sextus au même endroit ; en quoi il ressemblait aux sceptiques. Donc les atomes et le vide ne lui étaient pas connus par la sensation, par l’expérience sensible. C’étaient, comme l’a dit plus tard Epicure en une formule rigoureusement exacte, c’étaient des objets de pure raison : λόγῳ θεωρητά[4].

L’analyse de la conception des atomes et des notions qu’elle enveloppe va nous découvrir une coopération peut-être plus grande encore de la raison intuitive.

Un principe domine toute la philosophie atomistique. Si l’on enlevait cette clef de voûte, l’édifice s’écroulerait. « Rien ne vient du néant, rien ne retourne au néant[5]. » Démocrite invoquait souvent cette loi des existences, qu’ont d’ailleurs proclamée, comme lui, la plupart des philosophes antésocratiques. Ils voulaient dire par là non que tout ce qui commence d’exister a une cause, mais que tout ce qui naît provient d’une substance, d’une matière préexistante, et que cette matière n’est jamais anéantie. En d’autres termes, ce principe jouait dans leur doctrine le même rôle que le principe des substances chez certains modernes. Démocrite le comprenait positivement dans ce sens, et personne n’en a fait un aussi grand usage que lui.

Démontrait-il ce principe ? Nullement, Use contentait de le poser ;

  1. Simplic. ad Aristot., de Cœlo., IV, fol. 165, b.
  2. Cicer., de Finibus, liv. I, ch. vi, § 17.
  3. Sextus Emp., Pyrrhon. hypotyp., lib. I, ch. 30, p. 54.
  4. Stobæus, Eclog. phys., p. I, tom. Il, p. 796, éd. Heer.
  5. Diog. de Laërt., liv. IX, 44 : Tauchnitz, p. 151.