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l’étude véritable de la nature et une étude purement logique (ὅσον διαφέρουσιν οἱ φυσιϰῶς ϰαὶ λογιϰῶς σϰοποῦντες) ; car, pour démontrer, par exemple, qu’il y a des atomes ou grandeurs indivisibles, ces philosophes (toujours Platon et les siens) prétendent que, s’il n’y en avait pas, le triangle même, le triangle idéal serait multiple, tandis que, sur cette question, Démocrite paraît ne s’en être rapporté qu’à des études spéciales et toutes physiques (οἰϰείοις ϰαὶ φυσιϰοῖς λόγοις πεπεῖσθαι)[1]. » Dans le même traité, à propos de la question si obscure et si importante de l’agir et du pâtir réciproque des corps, Aristote cite encore les deux chefs de l’atomisme et dit : « Leucippe et Démocrite ont tracé ici mieux que personne le vrai chemin ; et ils ont tout expliqué d’un seul mot, en prenant le point de départ réel qu’indique la nature (ἄρχὴν ποιησάμενοι ϰατὰ φύσιν ἥπερ ἐστίν)[2]. »

Malgré ce que ces affirmations ont d’explicite, la supériorité qu’Aristote accorde à Leucippe et à Démocrite, quant à l’usage qu’ils ont su faire de la méthode d’observation, est toute relative. Son jugement sur ce point veut être réduit à une portée plus restreinte, et Aristote nous en a laissé lui-même le moyen en reproduisant les arguments par lesquels les atomistes démontraient leurs thèses fondamentales. Au moyen de ces textes d’Aristote et de ceux des écrivains postérieurs, il n’est pas impossible de déterminer la part de l’expérience, et la part de la raison dans le travail de construction de l’atomisme antique.

Démocrite, poursuivant et organisant l’œuvre philosophique qu’il avait commencée en collaboration avec Leucippe, compose l’univers avec les quatre principes suivants : le vide, les atomes ou le plein, le mouvement, la nécessité. Tous les détails du système rentrent sous ces quatre chefs.

Les atomistes démontraient le vide par voie d’expérience et par le raisonnement déductif. En outre, ils en affirmaient certains caractères qu’ils semblaient tenir pour évidents, puisqu’ils ne les démontraient pas.

À l’appui de l’existence du vide, ils invoquaient trois expériences. Premièrement : « les tonneaux contiennent le vin avec les outres, comme si le corps se condensait dans les vides qui se trouvent à son intérieur[3]. » Ce langage est tellement concis qu’il a besoin de commentaire. M. Barthélémy Saint-Hilaire l’a bien expliqué : les atomistes voulaient dire que, si l’on verse le vin d’un tonneau dans une

  1. Aristote., Génér. et Corrupt., liv. I, ch. ii. Edit. F. Didot, p. 435. Traduct. de M. B. Saint-Hilaire, p. 15 et 16.
  2. ibid., liv. I, ch. vii. Didot, p. 448. Trad. fr., p. 86.
  3. Aristot., Phys., liv. IV, ch. viii. F. Didot, 292. — Trad. fr., p. 190.