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en consacrer d’autres. Les rites funèbres étaient si bien assujettis à l’autorité héraldique qu’aucun membre de la noblesse ne pouvait être enseveli sans l’autorisation du héraut.

Il est aisé de voir pourquoi ces appareils auxquels étaient attachés des fonctions cérémonielles jadis importantes, se sont atrophiés tandis que les appareils civils et ecclésiastiques se développaient. La propitiation du vivant s’est trouvée, dès le début, nécessairement plus localisée que celle du mort. On ne saurait adorer le chef vivant qu’en sa présence, ou, si l’on veut, dans sa demeure, ou dans le voisinage de sa résidence. Sans doute, au Pérou, on payait un tribut d’adoration aux images des Incas vivants, et à Madagascar lorsque le roi Radama était absent, on chantait ses louanges en ces termes : « Dieu est parti pour l’Occident, Radama est un taureau puissant ; » mais en général on ne faisait pas de révérences et on ne chantait pas de louanges en l’honneur du grand personnage vivant, quand lui-même ou ses serviteurs immédiats n’étaient pas là pour le constater. Mais quand le grand personnage meurt et que dès ce moment on commence à vénérer et à craindre son esprit que l’on croit capable d’apparaître partout, les actes de propitiation cessent de demeurer localisés sur un étroit espace ; et comme, à la suite de la formation de sociétés plus vastes, il se constitue des divinités auxquelles on attribue une puissance et un empire plus vastes, la crainte et la vénération qu’elles inspirent se répandent en même temps sur de grandes surfaces. Par suite, le nombre des propitiateurs officiels se multiplie et s’étend, le culte qu’ils desservent s’établit en beaucoup d’endroits en même temps, de grands corps d’officiers ecclésiastiques se trouvent constitués. Mais ce n’est pas la seule raison qui empêche l’organisation cérémonielle de croître aussi bien que les autres appareils d’autorité : le développement de ces derniers est la véritable cause de sa ruine. Pendant les premiers temps de l’intégration sociale, il est vrai, les chefs locaux tiennent chacun leur cour sur leurs domaines et ont des officiers qui en règlent les cérémonies, mais la marche de la consolidation sociale et les progrès de la subordination des puissances locales à un gouvernement central, ont pour effet de diminuer la dignité des chefs locaux et de faire disparaître les témoins patentés de leurs honneurs. Jadis, en Angleterre, « les ducs, les marquis et les comtes avaient droit à un héraut et à un poursuivant d’armes ; les vicomtes, les barons et les autres personnages non titrés, même les chevaliers bannerets pouvaient garder un poursuivant. » Mais à mesure que le pouvoir royal grandit, « cet usage s’effaça peu à peu : il n’existait plus sous le règne d’Élisabeth. » Il y a une autre raison qui fait déchoir peu à peu l’appareil de l’autorité cérémonielle, c’est que les autres empiètent peu à peu