Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, V.djvu/347

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
337
ANALYSESjoly. — De l’Imagination, étude psychologique.

naissons pas tout à fait la même clarté à cette autre proposition ainsi formulée : « Tout mouvement expressif développe un état d’imagination qui tend à faire éprouver dans une certaine mesure le sentiment exprimé. » Est-ce l’imagination qui est ici en cause ? N’est-ce pas plutôt la sensibilité, la contagion naturelle des sentiments ? En présence d’un enfant qui rit, nous sommes disposés à rire nous-mêmes ; je vois là une perception, la perception du rire de l’enfant, puis un phénomène de sympathie, la tendance que nous avons tous à nous mettre d’accord avec les sentiments dont l’existence nous est révélée chez les autres par les signes extérieurs, par l’attitude et la physionomie. N’est-il pas vrai que l’imagination, si même elle joue ici un rôle, ne joue en tout cas qu’un rôle bien effacé ? Disons aussi que, dans son analyse de l’influence normale des images sur l’esprit, M. Joly a trop négligé cette vérité désormais incontestable : que l’imagination agit à chaque instant, non-seulement dans nos conceptions abstraites, mais jusque dans nos perceptions sensibles en apparence les plus directes, les plus pures de tout élément étranger. « Nous ne pouvons penser qu’avec des images, » dit l’auteur (p. 197). Oui, mais bien des explications étaient nécessaires pour éclaircir ces rapports de l’image et de la pensée. Pour ne parler que des perceptions, que de choses nous percevons par la vue dont la connaissance sensible serait vague et indécise, si les représentations, déjà acquises et conservées par l’imagination, ne venaient s’ajouter aux données des sens pour les fixer et les déterminer ! C’est ainsi que les images complètent les perceptions ; de même que, dans certains cas elles les modifient, elles les altèrent, elles les teignent de leurs couleurs, elles les encadrent dans leurs formes préconçues : tant il est vrai que nous regardons les choses non pas seulement avec nos yeux, mais aussi avec nos souvenirs et nos imaginations.

Après avoir étudié les lois propres de l’imagination dans ses rapports avec les sens, l’auteur arrive à l’analyse de ces rapports avec l’esprit. L’image est en effet, comme il l’a dit justement, , un phénomène « intermédiaire, médiateur entre les sens et l’esprit. » Il considère donc comment l’âme ou l’esprit groupe et ordonne les images, comment il en fait sortir cette seconde espèce d’imagination… qui embellit et charme la vie, sans laquelle la poésie et les beaux-arts seraient impossibles, » celle en un mot qu’on est convenu d’appeler l’imagination créatrice ou inventive. Ici, M. Joly, qui tout à l’heure, quand il s’agissait des relations de l’image et des sens, envisageait avec raison les deux faces du problème, omet une partie de la question, l’action de l’image sur l’esprit : il nous montre seulement l’action de l’esprit sur l’image. Remarquons en outre la tendance métaphysique qui pousse l’auteur à faire de ce qu’il appelle l’âme ou l’esprit une entité distincte et indépendante des imaginations : comme si les images représentatives et spontanées devaient être prises pour des manifestations, « étrangères à l’individu humain, extérieures à lui » (p. 84). Il y a quelque inexactitude,