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ANALYSESacollas. — Philosophie de la science politique.

toute sa doctrine politique. C’est là, selon nous aussi, la vérité essentielle, fondamentale en fait d’organisation sociale ; mais c’est là un principe de morale, non une loi d’histoire naturelle ; et c’est pourquoi la politique est une science morale, quoi que l’on en puisse dire, avant d’être une science naturelle. M. Acollas ne voit-il pas combien sa seconde devise : Droit et liberté, est peu d’accord avec la première et vaut mieux ? C’est heureusement la seule dont il s’inspire. Car ou donc est le droit, où donc la liberté, dans le domaine de l’histoire naturelle ? On serait bien faiblement armé contre les deux « doctrines de servitude », la doctrine du droit divin et celle de l’absolue souveraineté du peuple, si le droit de l’individu qu’il faut défendre contre elles, si l’inviolabilité de la personne humaine ne reposait que sur des considérations zoologiques. M. Acollas, qui a écrit des pages excellentes sur ce sujet, aurait donné plus de force et plus d’unité à sa thèse en se plaçant franchement sur le terrain de la morale et en s’appuyant des admirables analyses de Kant, qu’en faisant appel (dans un chapitre fort vague d’ailleurs et assez confus) à l’autorité des naturalistes et à la théorie de l’évolution. Que nous importe ici qu’il y ait dans la nature « unité de substance et continuité de composition », que l’homme « ne forme qu’un chaînon dans l’ordre des choses », etc. ? Cela rend-il plus claire la notion du droit, plus sacrée la dignité individuelle ? — Certes il faut, en toute recherche, tenir la porte grande ouverte aux sciences positives, afin de leur emprunter tout ce qu’elles peuvent nous donner de lumière, afin surtout de ne rien avancer qu’elles contredisent. Mais est-ce une raison pour les faire intervenir avec leurs hypothèses mêmes dans les questions où elles n’ont que faire ? On s’étonne que M. Acollas, si indépendant de la mode et du convenu, si libre de tout parti pris positiviste et évolutioniste, ait commencé par compliquer sa philosophie politique de ces vues cosmologiques dont il ne tire dans la suite aucun parti. Nous ne nions pas, quant à nous, qu’il y ait pour la politique d’utiles enseignements à tirer de l’histoire naturelle[1], ne fût-ce que pour éviter recueil de regarder les sociétés comme des êtres artificiels, où l’on peut d’un jour à l’autre tout modifier arbitrairement. Mais M. Acollas précisément ne fait aucun usage ultérieur de son chapitre sur « la science et l’homme ». Il nous permettra donc de regarder ce chapitre comme un hors-d’œuvre ou à peu près.

Je dis : ou à peu près, parce que l’auteur a eu son intention, ainsi que dans le chapitre intitulé « la science et Dieu », plus long et non moins superflu. Peut-être même attache-t-il un prix particulier à ces deux chapitres, qui forment ensemble son Discours préliminaire. La vérité est que M. Acollas rejette, avec l’âme humaine, l’idée de Dieu, surtout l’idée d’un Dieu personnel, lequel, dit-il, rendrait impossible la science « ; par les écarts de sa toute-puissance et de son arbitraire ».

  1. Voir A. Espinas, Les sociétés animales.