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sion logique des idées dans une tête pensante ? C’est à remplir cette lacune que cet ouvrage est consacré. » — L’auteur essaie donc d’esquisser une image claire des écoles de la philosophie grecque avant Socrate, de les reconstruire d’après l’idée qui en est comme le germe, de former un tout coordonné de ces opinions. Son critérium est la pensée métaphysique qui en est la base ; il la suit dans son évolution, telle qu’elle a dû se produire et se développer. Par là, il espère communiquer une vie nouvelle aux parties détachées des anciennes écoles : c’est un essai de résurrection. Si l’entreprise est louable, on ne peut se dissimuler ce qu’elle a d’aventureux. Il est à craindre qu’il n’en sorte une œuvre ingénieuse et savante, mais subtile et beaucoup trop systématique. C’est ce qui vient à l’esprit dès qu’on a lu quelques pages de ce livre d’ailleurs plein de vues profondes, d’aperçus élevés, de conceptions originales, mais où se révèlent plutôt les qualités du penseur et du métaphysicien que celles du véritable historien. L’auteur ne s’aperçoit pas combien il s’expose à mêler ou à substituer sa pensée propre à celle de ces philosophes qu’il prétend ressusciter et faire revivre sous nos yeux. Il ne voit pas l’inconvénient si grave qu’il y a à les revêtir d’un costume moderne, à leur faire parler un langage qui n’est pas le leur, à leur prêter les formules de la philosophie contemporaine. N’y a-t-il pas aussi une idée fausse à partir de ce principe que tout est conséquent dans ces systèmes et que jamais les contradictions ne doivent s’y introduire ? Si la contradiction n’est pas rare chez les philosophes postérieurs les plus éminents, tels que Platon, Aristote, chez Leibnitz, Kant même, etc., à plus forte raison ne doit-on pas s’y attendre d’esprits encore inexpérimentés, non habitués aux règles et aux procédés d’une logique rigoureuse et régulière.

Nous n’essayerons pas de faire l’analyse de ce livre ; nous nous bornons à en indiquer la division.

Toutes les écoles de la philosophie grecque avant Socrate y sont rangées en deux catégories, les dualistes et les monistes. La première, consacrée aux dualistes, comprend, outre l’hellénisme et les orphiques, Thalès, Hippon, Anaximandre, Anaximène, Pythagore et les pythagoriciens, Empédocle, Anaxagore. Dans la deuxième, (les monistes) figurent les Eléates, Heraclite, les atomistes et les Sophistes.

Malgré les défauts qu’on peut y relever, ce travail n’en a pas moins des mérites réels et atteste un esprit distingué. Ce qui le rendra fort utile à ceux-là même qui se montreraient sévères à son égard et n’en admettraient pas la méthode, c’est le grand nombre de textes bien choisis qui remplissent le bas des pages. Ces textes, qui attestent chez l’auteur une érudition peu commune, prouvent qu’il a eu à cœur de ne rien avancer qu’il ne se soit cru à même de justifier. Il faut lui en savoir gré et reconnaître l’importance de sa publication.

Ch. B.