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l’indiquons, sans vouloir insister. Mais le savant historien ne se contredit-il pas quand il rejette toute conception à priori et qu’il émet ensuite des propositions comme celles-ci : « L’esprit humain n’est pas une table rase, un miroir qui réfléchit les faits. On ne peut aborder l’étude des faits qu’avec les idées préconçues. Aborder l’histoire de la philosophie sans avoir soi-même une philosophie est impossible. Il y a là sans doute un cercle dont on ne peut sortir. » — Ce cercle, on en sort, on l’a dit, par l’idée de progrès. L’auteur le reconnaît lui-même, tout progrès dans la théorie éclaire l’histoire, et réciproquement chaque connaissance nouvelle des systèmes jette un jour nouveau sur ces systèmes.

Nous admettons volontiers cette solution, tout imparfaite qu’elle est, de la réciprocité de la science et de son histoire ; seulement c’est à la condition de maintenir la priorité et la supériorité à la science elle-même. Mais alors on se demandera : Quel est donc ce système que l’auteur apporte lui-même dans cette histoire ? Il ne le dit pas ; pour nous, c’est un hégélianisme corrigé et tempéré.

Ces difficultés franchies, sinon tout à fait résolues, l’historien doit entrer dans son sujet. Mais, avant de nous retracer l’histoire des systèmes de la philosophie grecque, il est tenu de s’arrêter sur ses antécédents' et ses origines. Ce travail se retrouve chez tous ses prédécesseurs ; lui-même le reprend. S’il n’est pas en tout original, on doit reconnaître que, tout en profitant des travaux de ses devanciers, il leur est supérieur. Du moins est-il plus net et plus précis. Cette partie du volume de M. Zeller nous a paru fort bien traitée. Nous en dégageons les idées principales :

1° Nous croyons qu’il est difficile de contredire les raisons par lesquelles il démontre que la philosophie grecque ne dérive pas de la philosophie orientale.

2° Il en est de même de la manière dont il établit les rapports de cette philosophie avec les autres éléments de la civilisation grecque, avec la religion publique, les mystères, la situation civile et politique, la cosmogonie des poètes (Hésiode) et des orphiques, les réflexions morales, les gnomiques, les Sages de la Grèce. Ce chapitre, où brillent les qualités du critique, la netteté, la mesure, la précision, est un des endroits les plus intéressants de ce volume.

Quels sont les caractères généraux de la philosophie grecque ? Le chapitre que M. Zeller consacre à ce sujet et qui rentre dans la philosophie de l’histoire, est aussi d’un haut intérêt. Là encore (il ne nous contredira pas), il est tout à fait hégélien. Selon lui, les caractères distinctifs ne doivent être cherchés ni dans la méthode ni dans les résultats, comme l’ont voulu des historiens antérieurs (Fries, Schleiermacher, etc.), mais dans l’essence même de la pensée grecque, dans la conception du monde telle qu’elle s’est produite dans l’esprit des Grecs. Or, en quoi cette conception de l’univers diffère-t-elle de celle de l’Orient et du moyen âge ? 1° par sa parfaite indépendance ; 2° en ce que la Grèce poursuit dans la vie humaine cette belle harmonie de l’esprit