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l’existence objective d’un monde extérieur. « Mais rien ne manifeste plus la grandeur de l’esprit humain, selon les expressions de Lichtenberg, que la puissance qu’il a de dévoiler cette ruse. »

M. Hüber multiplie les citations et les exemples, pour mieux établir cette relativité de toutes nos connaissances sensibles et prouver que, si nous en étions réduits à la seule perception, nous n’arriverions jamais à savoir ce que sont en eux-mêmes le monde extérieur et la matière. La possibilité de la science exige avant tout que l’intelligence s’affranchisse des apparences de la sensibilité. Mais l’intelligence ne pourra pas s’élever au-dessus de ces apparences, si elle n’est elle-même qu’une chose à côté des autres choses, si elle subit simplement le mouvement venu du dehors et le produit à son tour comme elle le reçoit. Sa fonction propre doit être indépendante des conditions de la perception sensible ; elle serait impossible si l’esprit était un pur effet des vibrations du cerveau, et les matérialistes ne peuvent échapper à ce dilemme : ou il y a une connaissance des choses et des faits en soi, et il faut alors poser l’esprit en soi en face des sensations et renoncer à le concevoir comme un produit des vibrations cérébrales, — ou il n’y a pas de connaissance pareille, et alors l’explication de l’origine de l’esprit par un effet de mouvements mécaniques n’a aucune valeur scientifique. Le matérialisme est donc, dans l’une et l’autre alternative, inconciliable avec la science, et il faut s’en tenir au postulat d’une pensée indépendante.

Toutes nos sensations se ramènent à deux formes, celle de l’espace et celle du temps.

L’espace n’est rien en dehors des choses, ou il est quelque chose. Pour les atomistes, philosophes ou savants, il est le vide absolu où les choses sont et peuvent se mouvoir ; autant dire qu’il n’est rien. Si au contraire l’espace est quelque chose, en d’autres termes, s’il existe par lui-même objectivement, les autres choses ne sont plus en lui, et il oppose une résistance à leur mouvement. En tant que chose, il se trouve lui-même à côté des choses, et il faut qu’il y ait de nouveau, entre lui et elles, un second, un troisième espace, et ainsi de suite à l’infini. De là les objections célèbres de Zenon. L’espace n’a donc qu’une valeur subjective, n’est qu’un phénomène, une forme de l’intuition.

Comment se forme l’intuition de l’étendue ? C’est un problème peut-être aussi insoluble que celui de la transformation d’une excitation nerveuse en une sensation. « Toute perception de la vue est une sensation résultant de l’action sur nous de plusieurs atomes dont chacun, dans son isolement et sa nature, ne saurait être perçu. Nous concevons le contenu de cette sensation comme étendu, parce que nous distinguons d’une part en lui plusieurs moments que nous posons comme des points, les ordonnant et les localisant les uns à côté des autres, et que d’autre part ces moments, construits comme des points fixes, parce qu’ils sont donnés simultanément dans notre sensation, nous les lions