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ANALYSESj. huber. — Die Forschung nach der Materie.

formes de l’espace et du temps, que nous formons en intuitions, que nous considérons en vertu de la loi de causalité comme dépendantes d’autre chose, et que nous transportons au dehors comme les qualités de ce facteur, par une sorte de projection spontanée et involontaire, et dont nous revêtons en quelque sorte sa nudité. Qu’il y ait donc près de nous, hors de nous, quelque chose d’actif, — un monde extérieur, une matière, — c’est là une conclusion de notre intelligence, nécessitée immédiatement par le caractère des sensations, ou fondée sur certaines réflexions. L’objet, avec toute la variété de ses qualités, est une position de notre intelligence ; ses qualités sont nos sensations ; sa réalité extérieure est notre pensée. » Nous ne pouvons connaître au monde que nous-mêmes et les changements qui se produisent en nous. La pensée est enfermée dans les limites de sa propre subjectivité, et, si elle veut sortir de ces limites, le chemin ne lui sera ouvert et frayé que par la pensée. Les lois de la pensée sont en même temps celles des phénomènes réputés extérieurs. Il n’y a de science qu’à cette condition.

La nouvelle physiologie a trouvé à la doctrine du caractère subjectif de nos perceptions sensibles un fondement dans les sciences naturelles. Les travaux de Jean de Müller sur l’action spécifique des nerfs sensibles, modifiés par les recherches de Dubois-Reymond, prouvent que ce ne sont pas les objets extérieurs qui sont représentés dans les sensations, mais certaines excitations, certains états de l’organisme lui-même. On a depuis longtemps d’ailleurs remarqué que les excitations qui viennent du dehors sur l’organisme ou en lui sont des mouvements mécaniques et sont par suite très-différentes des sensations considérées en elles-mêmes. La distinction faite par Helmholtz entre les signes et les images est fameuse. Nos sensations sont des signes à interpréter ; elles ne sont à aucun degré des images. Huxley a développé des idées analogues. Pour ce dernier, un morceau de marbre dur, rond et coloré, n’est qu’une somme d’états particuliers de conscience. L’unité même de ce morceau de marbre n’existe que par rapport à notre perception. Fick et Preyer s’expriment à peu près de la même manière ; ils déclarent que, si nous pouvons être convaincus de l’existence d’un monde qui s’opposerait à celui de notre conscience, il nous sera à tout jamais impossible de le connaître par expérience. A. Lange se sert des données les plus récentes de la physiologie pour détruire le fondement même du matérialisme et démontrer que nous resterons toujours enfermés dans le monde phénoménal de notre conscience, que nous n’aurons jamais affaire qu’à nos idées. « Toutes nos idées d’une matière et de ses mouvements, dit-il, sont le résultat d’une organisation de sensations purement spirituelles. » L’historien, aujourd’hui bien connu en France, du matérialisme, a exercé déjà une grande influence sur les savants anglais, dont aucun ne veut être matérialiste.

Nous ne connaissons donc en réalité dans la nature qu’un phénomène subjectif et spécifiquement formé par l’organisation de notre sensibilité. C’est comme l’effet d’une ruse de la nature que la croyance en