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herbert spencer. — études de sociologie

voir la naissance d’un sentiment et un usage qui en est la conséquence et qui, en s’étendant, peut aboutir à un système de tortures d’initiation au moment où l’homme entre dans l’âge viril. Schomburgk raconte que lorsque les Arraouaks se livrent à la danse mariquarie, le sang ruisselle sur leurs mollets gonflés, qu’ils laissent pendre des lambeaux de peau et de muscle le long de leurs membres déchirés, ce qui nous donne à penser que cette mutilation et d’autres semblables permettent à l’ambition d’étaler des cicatrices honorables. Sans doute, du moment que tout le monde les porte, les cicatrices ne sont plus une distinction, et on les explique en disant que les blessures d’où elles proviennent sont un moyen d’apprendre à souffrir ; mais ce n’est point là la raison première qui les a fait endurer, puisqu’il est très-peu probable que les hommes primitifs, imprévoyant de toutes manières, aient imaginé et institué un usage en prévision d’un avantage éloigné : on ne saurait admettre qu’il soit le résultat d’une prescription qui ressemble à un acte législatif.

Quoi qu’il en soit, voilà une seconde manière d’expliquer certains genres de mutilations. De là vient probablement que les marques faites à la peau, encore qu’elles soient généralement des signes de subordination, sont devenues dans certains cas des décorations honorables et quelquefois de signe du rang.

Nous devons ajouter quelques mots pour faire connaître un motif secondaire de mutilation, qui accompagne un motif secondaire de prendre des trophées, ou qui en découle.

Dans le dernier chapitre, nous avons reconnu que, sous l’influence de la croyance que l’esprit réside dans toutes les parties du corps, le sauvage conserve des reliques de ses ennemis morts, en partie dans l’espérance qu’il pourra par ce moyen exercer une contrainte sur leurs esprits sinon par lui-même, au moins grâce au secours du sorcier. Il a une raison analogue de conserver une partie qu’il a détachée du corps de l’ennemi qu’il a réduit en esclavage : l’un et l’autre, le maître et l’esclave, pensent que le possesseur de cette partie possède le pouvoir de faire du mal à l’autre. Du moment que la première démarche du sorcier est de se procurer des cheveux ou des rognures d’ongles de sa victime, ou un morceau de ses vêtements pénétré de l’odeur que l’opinion confond avec l’esprit de cette victime, il semble que le maître qui garde sur lui une dent, ou une phalange, ou une mèche de cheveux de son esclave, doive nécessairement conserver, grâce à ces reliques, le pouvoir de le soumettre à l’influence du sorcier, lequel peut lui faire subir l’un ou l’autre de ces maux épouvantables, la torture infligée par les démons, la maladie ou la mort.