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herbert spencer. — études de sociologie

ici une antithèse analogue. Le grand chef divin de Tonga diffère de tous les autres hommes des îles Tonga ; non-seulement il n’est point circoncis, mais il n’est point tatoué. Ailleurs, on voit quelquefois ces différences servir de distinction aux classes. Burton dit que chez les Beuza Nokkoi, au Congo, les individus tatoués « appartiennent généralement à la classe servile ». Sous ce raport, on peut trouver quelque valeur à un passage de Boyle. « Les Kyans, dit-il, les Pakatans et les Kennouïts, seuls à Bornéo ont la coutume du tatouage, et ce sont les trois races aborigènes les moins estimées pour leur bravoure. » Cela ne veut pourtant pas dire que les distinctions que le tatouage ou l’absence de tatouage impliquent sont toujours la règle : il y a des exceptions. Si dans certains pays le tatouage est le signe de l’infériorité sociale, dans d’autres il est le signe de la supériorité. Aux îles Fidji, les femmes seules sont tatouées ; mais, à Tahiti, les hommes et les femmes le sont également ; aux îles Sandwich, les hommes sont plus tatoués que les femmes. Quelquefois l’existence de cette mutilation cutanée est la preuve d’un rang élevé. « Dans la province de Pamuo, les nobles se distinguaient facilement à leur tatouage. » Mais il n’y a pas lieu d’être surpris de ces anomalies. Par suite des vicissitudes des guerres continuelles des races, il a dû arriver quelquefois qu’une race non tatouée ait été conquise par une race chez qui la coutume du tatouage était en vigueur, et qu’alors ces marques sont devenues le signe de la suprématie sociale. En outre, les tribus se dispersent, leurs traditions s’effacent, le sens des mutilations disparaît souvent, tandis que les mutilations mêmes survivent, que tout naturellement elles se modifient et deviennent des moyens de paraître, ce qui a pour effet d’en renverser le sens primitif. C’est ce qu’on voit dans un passage d’Angas. « Le tatouage, dit-il, est un signe qui distingue les classes à la Nouvelle-Zélande ; les esclaves ne portent pas sur la figure le tatouage spiral. Un passage de Dobriz Sloffer nous apprend la même chose : chaque femme abipone que l’on voit porte un dessin différent sur la figure. Celles qui portent le plus de peinture et de piqûres sont, vous pouvez en être sûrs, du plus haut rang et de la plus haute naissance. »

Seulement il y a une autre cause encore de ce désaccord des significations du tatouage. Il nous reste à parler d’une espèce de mutilation cutanée qui a une autre origine et un sens différent.

Outre les cicatrices qui proviennent de déchirures qui sont des actes de propitiation envers des parents ou des chefs morts et des dieux, il en est qui proviennent de blessures reçues à la bataille. Ces dernières, quand elles sont nombreuses, supposent qu’il y a eu beaucoup de batailles avec les ennemis ; aussi sont-elles en honneur dans