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herbert spencer. — études de sociologie

dans le contraste qui sépare l’usage naguère en vigueur à Madagascar, où le roi avait l’habitude de rappeler dans l’assemblée publique « son origine, la succession des anciens souverains ses aïeux, et son droit incontestable à la possession du royaume, » et l’usage qui existait jadis en Angleterre, où un officier avait la charge de proclamer à la place du souverain ses distinctions, ses titres et ses droits. À mesure que le chef étendant ses domaines et accroissant sa puissance, rassemble autour de sa personne un grand nombre d’agents, le devoir qui appartenait d’abord à tous d’exprimer hautement en son honneur des louanges de propitiation, finit par devenir la charge spéciale de certains d’entre eux : une classe de glorificateurs officiels se forme. « Aux îles Samoa, un chef en voyage a dans sa suite son principal orateur. » Aux îles Fidjis, chaque tribu a son « orateur, qui prononce des harangues dans les occasions de cérémonie. » Du puis nous raconte que les serviteurs des chefs Achantis criaient avec empressement les « titres » de leurs maîtres ; et un auteur plus récent parle de l’un des serviteurs du roi qui a pour fonction « de lui donner des noms, » c’est-à-dire de crier ses titres et ses éminentes qualités. C’est en vertu d’un usage analogue qu’un roi Yoruba, quand il sort, est suivi de ses femmes qui chantent ses louanges. Or, quand nous rencontrons des faits de ce genre, quand nous lisons qu’à Madagascar, « le souverain a une grande troupe de chanteuses, qui restent dans son palais et qui accompagnent leur monarque toutes les fois qu’il sort, soit qu’il aille prendre l’air un moment, soit qu’il fasse un long voyage ; » quand on nous raconte qu’en Chine, « Sa Majesté Impériale était précédée de gens qui proclamaient ses vertus et sa puissance ; » quand nous apprenons que chez les anciens Chibchas on recevait le bogota avec « des chants où l’on racontait ses exploits et ses victoires » ; nous ne saurions nier que ces proclamateurs de grandeur et ces chanteurs de louanges ne fassent pour le roi vivant exactement la même chose que les prêtres et les prêtresses font pour le roi mort et pour le dieu qu’ils dégagent de la personne du roi mort.

Dans les sociétés dont les gouvernements cérémoniels sont très-développés, on retrouve la preuve de cette homologie. De même que ces sociétés ont ordinairement plusieurs dieux en possession de pouvoirs différents, et servis chacun par des glorificateurs officiels ; de même elles ont des potentats vivants de divers grades, servis chacun par des hommes qui proclament sa grandeur et demandent pour lui des témoignages de respect. Aux îles Samoa, « un héraut court quelques pas en avant de son chef, et prononce à haute voix son nom quand il rencontre quelqu’un. » À Madagascar « un ou