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herbert spencer. — études de sociologie

la vanité, un caractère plus ou moins ornemental ; et l’usage qu’on en fait pour la décoration du corps survit souvent après que le sens s’en est perdu.

Indépendamment de toute hypothèse, nous avons la preuve que ces marques faites à l’aide d’incisions, ou de piqûres décrivant des lignes, ou de bordures en saillie, ou autrement, sont bien souvent des signes de tribu ; ce qu’elles deviendraient si elles étaient originellement l’effet de l’usage de contracter une union par le sang avec le fondateur mort de la tribu. Un passage de Bancroft relatif au Cuebas de l’Amérique centrale expose clairement le sentiment exprimé par les marques : « Si le fils d’un chef refusait de se servir des marques distinctives de sa maison, il pouvait, une fois devenu chef lui-même, choisir une nouvelle devise à son gré. Le fils qui n’adoptait pas le totem de son père était toujours pour lui un objet de haine durant sa vie. » Si le refus d’adopter la marque de famille, quand elle est peinte sur le corps, passe pour une sorte d’infidélité, il en sera également de même quand la marque est de celles qui proviennent de déchirures modifiées ; le refus équivaudra à une rébellion, lorsque la marque signifie qu’on descend de quelque illustre père de la race ou qu’on lui est soumis. De là la signification qui s’attache aux faits suivants : « Tous les Indiens, dit Cieza à propos des anciens Péruviens, portent certaines marques qui les font connaître et dont leurs ancêtres se servaient. » Les personnes des « deux sexes, aux îles Sandwich, portent une marque particulière (un tatouage), qui paraît indiquer le district où elles vivent, ou bien le chef auquel elles obéissent. » Chez les Uaupes, « une tribu, celle des Tucanos, se distingue des autres par trois lignes bleues verticales sur le menton. »

Nous avons, il est vrai, quelque preuve qu’une forme spéciale de tatouage devient une marque de tribu, de la manière que nous avons indiquée. Parmi les diverses mutilations auxquelles l’homme se soumet comme à des rites funèbres, à la mort d’un chef, aux îles Sandwich, par exemple l’arrachement des dents, la résection des oreilles, la tonsure, etc., il en est une qui consiste à tatouer un endroit de la langue. Nous voyons, par cet exemple, que cette mutilation prend la signification de la fidélité à un souverain qui est mort ; plus tard, quand ce souverain mort, objet d’une distinction inusitée, reçoit l’apothéose, la marque imprimée par le tatouage devient le signe de l’obéissance qu’on lui doit comme à un dieu. « Chez plusieurs nations de l’Orient, dit Grimm, existait la coutume de se faire une marque par une brûlure ou une incision, ce qui signifiait qu’on était adhérent d’un certain culte… Philon se plaint à cet égard des gens